LE PÉTROLE : “UN BIEN PUBLIC”

Le Conseil d’administration du FMI — sa véritable instance décisionnelle — s’intéresse de près à la place des fonds souverains dans l’économie mondiale. Il vient d’adopter un projet de texte décidant l’installation d’un groupe de travail international chargé de «l’élaboration d’un ensemble de pratiques optimales à l’intention des organismes de placement d’Etat». Le groupe a entamé les discussions techniques et le travail de rédaction dès le mois d’avril écoulé. Objectif :

soumettre au conseil d’administration un projet de document avant l’assemblée annuelle commune du FMI et de la Banque mondiale prévue pour octobre prochain. D’après l’analyse du FMI, on peut distinguer en gros cinq types de fonds souverains selon leur principal objectif :

1. Les fonds de stabilisation, dont l’objectif premier est de protéger les finances publiques et l’économie nationale des fluctuations des prix des produits de base (en général le pétrole).

2. Les fonds d’épargne au profit des générations futures, qui visent à convertir des actifs non renouvelables en un portefeuille plus diversifié.

3. Les sociétés de placement des réserves, dont les actifs restent souvent assimilés à des avoirs de réserve et qui sont créées pour accroître le rendement des réserves.

4. Les fonds de développement, qui servent généralement à financer des projets socioéconomiques ou à promouvoir des politiques industrielles propres à stimuler la croissance de la production potentielle d’un pays.

5. Les fonds de réserve de retraite conditionnels, qui permettent de faire face à des engagements imprévus non spécifiés au titre des retraites dans le bilan de l’Etat.

Ce sont, néanmoins, les fonds pétroliers qui retiennent son attention. Dans une étude précédant la décision du Conseil d’administration, le Fonds monétaire a analysé les comptes des pays producteurs de pétrole où les recettes pétrolières représentaient au moins 20 % du total des recettes budgétaires en 2004 et pour lesquels des informations étaient disponibles en quantités suffisantes.

L’Algérie en fait partie. La prépondérance de l’or noir dans la constitution des réserves de change ne suffit pas à figurer dans la liste. Encore faut-il que les revenus pétroliers participent à la formation d’un excédent substantiel calculé selon la «règle Greenspan- Guidotti» (du nom d’Alan Greenspan, l’ex-gouverneur de la Fed américaine et de Pablo Guidotti, l’ancien vice-ministre des Finances de l’Argentine). D’après cette règle, les pays doivent cibler un niveau de réserves qui couvre entièrement la dette extérieure à court terme.

La règle d’or plus classique suivie par les décideurs est de viser un niveau de réserves équivalent à trois mois d’importations. A partir de cette règle, il a été également établi un modèle de calcul du niveau optimal de réserves dans une économie de marché émergente correspondant à un ratio réserves/PIB de 10 %. Afin de mesurer l’aisance financière de notre pays, il suffit de savoir que les réserves de change de l’Algérie (or non compris) ont atteint 110,18 milliards de dollars à fin 2007, soit l’équivalent de près de 40 mois (plus de 3 ans) d’importations.

Quant à l’excédent commercial, il a atteint 28,95 milliards de dollar, soit 25,1% du PIB en 2006. Global Insight (*) vient de rendre public un rapport d’un intérêt certain puisqu’il évoque également le cas algérien. Dans la zone Afrique du Nord Moyen-Orient, l’Algérie, la Libye et l’Egypte ont enregistré les gains les plus importants, ils ont presque triplé depuis 2004.

L’étude relève avec pertinence la particularité des ressources des fonds de la région : «Beaucoup d’entre eux sont contrôlés par des individus ultra-riches plutôt que par des entités gouvernementales et la distinction avec le privé est souvent floue.» La gestion du fonds algérien est jugée «plutôt passive, avec prééminence d’une approche d’investissement, avec peu d’investissements de portefeuille et de transparence.

Jusqu’à présent, l’Algérie a utilisé ses revenus d’exportations et ses réserves de change pour rembourser la dette extérieure, mais la pays est maintenant en bonne position de créancier net et envisage probablement la constitution d’un énorme trésor de guerre.» Le FMI est vivement intéressé par l’impact des revenus pétroliers sur la stabilité financière et les flux de capitaux à l’échelle mondiale. Pour l’instant, son Conseil souligne que l’élaboration de ces pratiques se fera «sur une base volontaire».

Le FMI est de ceux qui ont vu d’un bon œil les injections des capitaux des fonds, car ils ont contribué à stabiliser les marchés frappés par la crise des crédits immobiliers. Mais cela ne suffit pas à les rendre «fréquentables». Les «pratiques optimales » sur lesquelles se penche intensément le FMI aujourd’hui l’autorisent déjà à «espérer» la création d’un «bien public» que les fonds souverains existants et futurs pourront utiliser pour gérer des organisations saines, suffisamment transparentes et dotées de bonnes structures de gouvernance et de mécanismes solides de gestion des risques.

La prudence sémantique des «pratiques optimales» et du «bien public» cache mal la volonté de soustraire la gestion du produit des ressources naturelles à la souveraineté des Etats incriminés. Elle indique, même en filigrane, que nos pays ne seraient pas dignes de disposer de tels trésors parce qu’ils ne résultent naturellement pas, autre connotation induite, du fruit de la libre entreprise ou de l’accumulation productive.

Les grands arbitrages sollicités ici tiennent à une méfiance mutuelle entre les grands pays bénéficiaires inquiets de l’impact que peuvent avoir les fonds souverains — par leur taille et leurs stratégies d’investissement —, et les pays pauvres d’origine, qui craignent un renforcement des tendances protectionnistes ou, carrément, l’accaparement de leurs richesses par différents stratagèmes.

Les chantres du protectionnisme économique prêtent aux fonds «souverains» des intentions cachées d’ordre extra-financier où les stratégies d’influence sont prééminentes. D’où les premières barrières mises à leur récent déferlement. Aux Etats-Unis, le Congrès américain a adopté en juillet dernier une loi pour renforcer, au nom de la sécurité, les pouvoirs de contrôle du gouvernement.

Pourtant, ce dernier dispose déjà depuis 1975 d’un puissant levier sur l’acquisition d’entreprises américaines par des intérêts étrangers : le CFIUS - Committee on Foreign Investment in the United States. En Allemagne, le président de la Deutsche Bank, Joseph Ackerman, a mis un sérieux bémol à ses convictions libérales et invité le gouvernement allemand à «définir les secteurs d’activité économique où l’Allemagne doit conserver un contrôle».

Berlin envisage la création d’une agence fédérale chargée d’évaluer et éventuellement de bloquer les investissements étrangers en Allemagne pour des questions de sécurité nationale. Le gouvernement français, gagné par le patriotisme économique, a fait voter fin 2005 une loi dite «anti-OPA» qui soumet à autorisation et à conditions les investissements étrangers dans les sociétés françaises relevant de onze secteurs d’activité stratégique (notamment la défense, l’énergie, l’informatique et les matières premières).

Pour l’instant, le président russe Vladimir Poutine est seul à déplorer ces protectionnismes croisés, au nom de la réciprocité. S’exprimant à des journalistes russes au cours de sa visite à Abu Dhabi, il a déclaré à propos des Etats-Unis : «Ils ont adopté une loi limitant les investissements étrangers, créant un conseil national ou quelque chose de ce genre dont les responsables des services spéciaux font partie (…)

Dans quelques pays européens, on discute de la possibilité d’adopter une législation similaire. Evidemment, si cela continue, nous serons obligés de prendre des mesures adéquates pour protéger nos intérêts. Il fut une époque où nos possibilités économiques étaient limitées et où on nous demandait d’ouvrir notre économie.

Maintenant que ces possibilités existent chez nous, d’autres pays, nos partenaires, prennent des mesures dans la direction opposée et ferment ou créent les conditions d’une fermeture de leur marché pour les investissements.» Les relents de l’Etat-nation n’ont pas fini de contingenter le libre-échange.

Ammar Belhimer

(*) Global Insight Inc, Sovereign Wealth Fund Tracker, avril 2008. Le document est consultable sur http://www.globalinsight.com

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