PRESSE : UNE LIBERTÉ CONDITIONNELLE

Ce qu’il y a de «confortable » à vivre sous une dictature s’assumant sans états d’âme ni de faux-fuyants ce sont précisément les règles brutales qu’elle édicte. A son ombre, il n’y a presque jamais de procès obliques, instruits au nom de l’on ne sait qu’elle éthique ou «droit-de- l’hommisme». La morale de l’Etat étant exclusivement incarnée par elle, la pensée univoque qu’elle diffuse est par conséquent l’alpha et oméga du comportement à l’usage de la société.

Et si, parfois, cette soporifique quiétude muette est troublée par des hurluberlus de la plume, sa police politique est justement là pour faire avorter dans l’œuf la moindre contestation. Sous ce régime l’on réprime de la sorte et avec une égale morgue qui ne s’encombre d’aucun scrupule comme l’illustre si bien le sort de nos confrères tunisiens, notamment. Autant dire que la logique du despotisme n’a nul besoin de la comédie des tribunaux. A l’inverse, les régimes démocratiques seraient, eux, estampillés par le recours à l’arbitrage de la justice laquelle, en toute indépendance, fixe les bonnes frontières entre la liberté de dire et d’écrire et celle qui attente à la vie privée d’autrui.

Mais cette dualité entre démocratie et dictature est, somme toute, bien trop simplificatrice. Car il peut justement exister une troisième catégorie de régime qui, sans être une stupide chape de plomb, n’est toutefois pas une respectable république sourcilleuse du primat de la justice en tant qu’unique gardienne des libertés. Toutes les libertés… Ni chien docile ni loup prédateur, ce type de régime est d’abord la conséquence d’une hybridation, forcément idéologique. Celle qui reféconde et refonde la tyrannie primaire en la dotant de quelques oripeaux de la citoyenneté afin de la rendre présentable. Grâce à ce tour de passe-passe, l’on a fini par admettre que l’Algérie, entre autres pays du tiersmonde, était devenue une «démocratie en transition». C’est-à-dire une société émergeant lentement dans ce domaine et vis-à-vis de laquelle il faut cultiver la condescendance.

Or, tout le malentendu est là. Il est paradoxalement dans l’inconfort de vivre sous cette ambiguïté de caméléon. La presse, notamment, en paye ponctuellement le prix fort de cette nouvelle orthodoxie doctrinale qui n’est rien d’autre qu’un artificieux habillage sémantique afin de reconduire les pratiques du passé. Les avanies essuyées par les journalistes, chaque fois qu’ils se sont inscrits en faux par rapport aux plaidoiries du pouvoir quand il se défend dans les forums internationaux, illustre bien le fait que nous vivons toujours dans une démocratie de pacotille. 18 ans après sa naissance, la presse écrite non officielle demeure sur la défensive dans ses relations avec l’appareil d’Etat.

Craignant à tout moment le bâillon, elle s’épuise dans les louvoiements afin d’éviter les chausse-trappes. Et pourtant, elle n’a pour d’autre alternative que cette façon de faire et d’agir. Celle de débusquer les mises en scène destinées à donner un semblant de légalité aux procès des journalistes. Le processus de culpabilisation morale de ces derniers est déjà en marche et s’inscrit dans une stratégie globale de mise au pas des éditeurs. Ainsi, le reproche courant, qui se décline sous la forme de «transgression» déontologique de certains écrits, n’est-il pas destiné à précariser d’abord les entreprises de presse en leur imposant sournoisement une plus grande rigueur dans l’autocensure ?

Nous sommes déjà dans une sorte d’hygiène inquisitoire qui fait de tout écrit un délit potentiel. C’est implicitement ce qui explique la réactivation saisonnière des plaintes en «diffamation». Elle en est même le signe distinctif de la normalisation rampante. Comme il se doit, dans de pareilles farces, les instances politiques jouent aux Ponce Pilate s’interdisant d’interférer dans l’intime conviction des juges ! Une tartuferie démocratique dont on sait qu’elle n’est que le prologue des curées à venir. En changeant de méthode, puisqu’il n’est plus de mode de réprimer sans la comédie des prétoires, le pouvoir confirme tout le «bien» que la presse pense de lui.

La crainte qu’une véritable liberté d’expression nuit à ses intérêts explique la férocité cyclique qu’il met à la juguler. La vigueur du pamphlet, la dérision du billet, les analyses fortement charpentées des éditoriaux et les comptes-rendus moins compassés des faits de société le dérangent dès lors qu’ils apportent des démentis aux discours officiels. Même s’il est convenu que quelles que soient les latitudes où ils se trouvent, les pouvoirs font rarement bon ménage avec la presse, tous cependant ne s’autorisent pas certaines pratiques.

L’intolérance de la démarche qui a cours chez nous incline à penser que les mois à venir (la perspective de la présidentielle de 2009) seront décisifs pour nombre de journaux en mauvais termes avec la voix officielle. Attendons-nous donc à revoir les convocations chez les juges et à subir le chantage par la publicité institutionnelle. Rien de tout cela ne sera épargné à certaines publications.

Car, comme il sied à tout mauvais plaideur, quand il a les attributs du pouvoir, il n’y a rien de mieux que les procès d’intention. Les spécieux prétextes qu’offre l’éthique ne permettent-ils pas à la sorcellerie politicienne de faire des miracles ? Comme les procès d’hier dont fut victime un éditeur (l’embastillement 2 années durant de Benchicou) et la liquidation arbitraire du quotidien Le Matin, il y a ceux qui viennent de se tenir récemment au détriment de Belhouchet, le directeur d’El Watan, et le chroniqueur C. Amari. Tous ont un dénominateur commun et une connotation politique : l’intimidation.

Ce n’est donc pas par euphémisme que l’on doit aujourd’hui parler de menace liberticide. Le «rationnement» de la liberté de la presse est plus que jamais à l’ordre du jour dans des hautes sphères. Celles-ci, ayant besoin d’un huis clos médiatique pour se projeter au-delà d’avril 2009, ne peuvent que tisser des bâillons et dresser des bûchers pour les iconoclastes de la plume. A partir de ce 3 mai de l’an de grâce 2008, il faudra placarder aux portes des rédactions l’avis suivant : «La presse est en liberté provisoire. »

Boubakeur Hamidechi

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