Des cerveaux, pour quoi faire ?
Il court un débat hypocrite sur “la fuite des cerveaux”. Les intervenants à la conférence sur “les flux migratoires sélectifs” organisée par l’IEDF n’ont pas versé dans les jérémiades sur le “pillage” de nos matières grises par des puissances suceuses d’intelligence, les vains appels au retour patriotique de nos brillants exilés ou les “ce qu’il faut” pour “réunir les conditions de rapatriement et d’insertion des compétences”…
El-Kenz, Berrah et d’autres n’ont voulu bercer personne d’illusions. À peine préconisent-ils de chercher des formules de type “universités d’été” et “projets transnationaux” de tirer épisodiquement profit de l’expérience des ces cerveaux “en circulation”.
Le discours sur l’émigration a toujours été un discours politique. La même mystification qui entoure “le retour des compétences exilées” marquait jusqu’à épuisement la question du “retour des émigrés”, notamment les hommes d’affaires. Pourtant, le capital, c’est connu, n’a plus de nationalité : le même contexte, fait d’interventionnisme politique dans la scène économique, de corruption parasitaire, d’archaïsme bureaucratique et d’instabilité réglementaire, produit la même méfiance des étrangers et des Algériens expatriés. Il est plus propice à attirer des affairistes disposant de couverture politique qu’à encourager les investisseurs attachés à l’orthodoxie entrepreneuriale.
Pourquoi le pouvoir cherche-t-il à attirer des compétences dont on n’a jamais cherché à comprendre les raisons de leur départ ? Il suffirait pourtant de le leur demander. Ils auraient pu nous expliquer, par exemple, que de nos jours, on ne peut pas rageusement s’enorgueillir de l’arabisation totale des sciences humaines et vouloir cultiver l’étude et la recherche sociologique à un niveau qui exploiterait la science de Ali El-Kenz ! Après avoir programmé l’exclusion par le dogme de l’unicité de la langue, après avoir appauvri l’École et l’université par l’arabisation idéologique, après avoir traqué l’ouverture en disqualifiant les non arabisants, on s’étonne des effets de sa propre politique. Parfois, il suffit de se le demander. Puisque beaucoup de nos dirigeants s’expatrient entre deux nominations. Il s’ensuit une transhumance de coteries entières qui se relaient au gré des successions de régime.
Dans notre pays, on a toutes les chances d’améliorer son statut en adhérant à une association de zaouïa qui “soutient” ; mais on n’a même pas le droit de se syndiquer quand on est médecin. Dans notre pays, on envoie la force publique contre les enseignants qui revendiquent. À voir ce qu’endurent les compétences légalistes qui subsistent, c’est à se demander par quel miracle il en reste encore.
Un système, qui soumet l’aptitude à l’allégeance politique plutôt qu’à l’épreuve du devoir et de l’efficacité, exerce une action centrifuge sur la compétence et l’initiative. Celles-ci cherchent naturellement un meilleur contexte pour s’exprimer et se faire valoir.
Un système peut être basé sur la cooptation clanique, népotique et régionaliste ; il peut être basé sur la compétition scientifique, technique et démocratique.
Quand on a l’un, on ne peut pas avoir l’autre ; ils sont mutuellement exclusifs.
Mustapha Hammouche