Les fonds pétroliers sous haute surveillance

Les fonds pétroliers sont au cœur d’un débat institutionnel de premier plan aux Etats-Unis, leur cible de prédilection. Les craintes que suscite leur déferlement sur l’économie américaine vont croissantes : selon un dernier sondage, 49% des personnes interrogées estiment que les investissements par des gouvernements étrangers aux Etats-Unis ont un effet négatif sur l’économie américaine, et 55% estiment qu’ils ont un effet aussi négatif sur la sécurité nationale de ce pays.

Cette crainte provient de ce que l’avènement en force des fonds pétroliers dans l’économie étatsunienne reflète une forte redistribution de la richesse de pays industriels traditionnels comme les Etats-Unis vers des pays qui, historiquement, n’ont pas été des acteurs de la finance internationale et interviennent peu ou pas dans l’élaboration des pratiques, des normes et des conventions qui régissent le système financier international. Crainte aussi de ce que des gouvernements s’octroient le pouvoir de disposer et de décider de l’affectation de richesses, en contradiction avec la tradition établie reconnaissant un tel pouvoir au secteur privé et au marché. Les pays d’accueil de ces fonds expriment cinq grandes préoccupations :

1 - la gestion étatique n’est pas la plus adaptée pour les investissements internationaux ; en l’absence de règles préétablies, la manipulation d’énormes sommes d’argent peut avoir des conséquences négatives pour l’économie mondiale et le système financier, notamment en générant la corruption à grande échelle ;

2 - les Etats peuvent être tentés par la poursuite d’objectifs politiques, ce qui soulève des préoccupations de sécurité nationale ; de même qu’ils peuvent être enclins à se fixer des ambitions de puissance économique qui favoriseraient l’émergence d’entités monopolistiques – source de distorsions microéconomiques ;

3 - de telles craintes sont de nature à encourager le protectionnisme financier ;

4 - la gestion de ces actifs internationaux peut aussi contribuer à accroître l’agitation et l’incertitude qui traversent les marchés ;

5 - il peut y avoir conflits d’intérêts avec des nationaux ou étrangers dans le pays d’accueil.

Au vu de ces menaces, le Fonds monétaire, l’OCDE, le G-7 et la Commission des communautés européennes travaillent d’arrache-pied pour encadrer un tel flux de capitaux publics. Le schéma qui se dessine est d’inspiration américaine.

Clay Lowery, le secrétaire adjoint au Trésor américain, a défini quatre principes directeurs de la tendance générale imprimée aux fonds : primo, l’engagement politique que les décisions d’investissement sont fondées exclusivement sur des motifs économiques plutôt que politiques ou de politique étrangère ; secundo, la compatibilité des politiques d’investissement avec des systèmes de gestion des risques, des structures de gouvernance et des contrôles internes qui assurent une pleine transparence ; tertio, une concurrence loyale avec le secteur privé ; quatro, le respect des règles de droit du pays d’accueil.

Pareilles préoccupations méritent d’être largement partagées, y compris (et surtout, dirons-nous) par les populations des pays d’origine. Il est, en effet, impensable — et personne n’en disconvient — de laisser des pouvoirs pour l’essentiel corrompus et irresponsables dilapider en un clin d’œil ce que la terre a mis des millions d’années à enfanter. Quatorze des 20 plus gros fonds ont, en effet, le pétrole ou les matières premières comme principale source de revenu.

D’autres thèses, tout aussi légitimes, font valoir que l’épargne nationale de pays dotés de pouvoirs dictatoriaux ne mérite pas d’être confiée à des bureaucrates incompétents qui investissent dans des entreprises américaines qui s’écroulent en Bourse. Pour l’heure, les grands instituts s’attellent à élaborer le schéma directeur idoine pour garantir les meilleures pratiques attendues des fonds pétroliers. Edwin M. Truman et Doug Dowson, du Peterson Institute for International Economics, ont construit un tableau de bord à partir de 44 fonds souverains sur les 54 fonds énumérés existants (*).

Leur estimation de l’actif des fonds est, au bas mot, de 2 600 milliards de dollars, soit cinq fois plus qu’il ne l’était en 2000. Pour pouvoir comparer, il suffit de savoir que la capitalisation de l’ensemble des Bourses européennes pèse quelque 10 000 milliards de dollars. Et ce n’est pas fini : une étude de Morgan Stanley évalue le poids de ces fonds, dans dix ans, à plus de 15 000 milliards de dollars.

Le tableau de bord contient 33 éléments construits sous forme de questions se rapportant à quatre catégories : la structure du fonds, y compris ses objectifs, le traitement fiscal, et si elle est distincte de celle des autres réserves internationales du pays ; la gouvernance du fonds ; la responsabilité et la transparence du fonds dans sa stratégie de placement, les activités d’investissement, l’établissement de rapports et d’audits ; et le comportement du fonds.

L’ensemble de ces éléments réunis est crédité d’une moyenne de 100 points. Notre fonds de régulation des revenus pétrolier, dont les placements en bons du Trésor des Etats-Unis sont estimés à 47 milliards de dollars, est crédité d’une note de 27, nettement au dessous de la moyenne. Nous ne sommes heureusement pas dans la situation des Emirats arabes unis (bons derniers), ni malheureusement pas dans celle des Etats-Unis ou de la Norvège (premiers au classement).

Plutôt que de gaspiller l’argent de sa manne pétrolière, le gouvernement norvégien l’investit dans des actifs financiers qui fourniront aux générations à venir un revenu appréciable si le prix de l’or noir redescend ou quand ses gisements seront épuisés. Plus de 320 milliards de dollars ont ainsi été investis par Oslo sur les marchés internationaux, suivant un cahier des charges qui intègre aussi bien la transparence que l’environnement ou le respect des droits de l’enfance ou des syndicats dans les pays d’accueil. Qu’en est-il de chacun des quatre éléments d’appréciation pris séparément ?

Les auteurs du tableau de bord apprécient d’abord la qualité de la structure en charge des revenus pétroliers, en fonction de la clarté de ses objectifs, de ses sources de financement, de l’utilisation de son capital et de ses revenus, du traitement fiscal, des procédures, etc. Sur ce premier paramètre, le fonds algérien est crédité de 56 points. Il est également apprécié la gouvernance du fonds, un paramètre qui couvre la dissociation des rôles respectifs du gouvernement et des gestionnaires dans la conduite des opérations du fonds et l’utilisation de la gouvernance d’entreprise et des principes éthiques dans ces activités.

Les questions récurrentes ici sont : est-ce que le rôle du gouvernement dans l’établissement de la stratégie de placement du fonds et des gestionnaires dans l’exécution de l’investissement est clairement établi ? Est-ce que le fonds porte à la connaissance du public les lignes directrices qui gouvernent son fonctionnement ? Le fonds algérien obtient ici 40 points sur 100. La responsabilité et la transparence comportent une connaissance maximale des ressources du fonds, de leurs modalités de gestion et de mobilisation, etc, pour les pays d’origine et d’accueil.

Un paramètre sur lequel le fonds algérien est crédité de 11 petits points tant il souffre encore d’opacité. Dernier indice d’appréciation : le comportement ; il combine les aspects de la gestion des risques grâce à des fonctionnalités qui peuvent être une source de préoccupation pour les participants au marché. 17 points seulement reviennent au fonds algérien sur ce point particulier. Avec 2,7 sur 10, le pouvoir devrait changer d’instit ou de classe.

Ammar Belhimer

(*) A Blueprint for Sovereign Wealth Fund Best Practices, by Edwin M. Truman, Peterson Institute for International Economics, Washington, DC, April, 2008.

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