L’État théocratique est là

La chronique de l’ami Chawki Amari consacrée à la mésaventure de celui qu’il appelle Mitch (El Watan du 25 mars) nous a rappelé qu’une même histoire était arrivée à un autre conducteur de Logan du côté de Fouka, environ un an plus tôt.

Contrôle donc, et l’agent fait “découvrir” à l’automobiliste un “signe” divin dessiné en relief sur la tôle, à ses pieds, sous le tapis. Ce jour-là, l’infraction a été réglée à l’amiable : le propriétaire du véhicule a été sommé de limer l’inscription suspecte pour ne pas avoir à piétiner le symbole sacré. Sidéré de devoir répondre de ce “défaut de fabrication” pour une voiture légalement importée et honnêtement acquise, l’automobiliste fit la promesse qui s’impose pour se tirer d’affaire.

Apparemment, “l’incident” a continué à se répéter. Il ne relève donc pas de “l’acte isolé”. C’est vrai qu’on observe que la défense du dogme n’est plus l’apanage des seuls imams ou de quelques personnages dévots que chacun reconnaît dans son entourage. Non, le service public s’est drapé du voile de la piété. Ainsi, si dans une administration, on omet le salut de rigueur, on risque de le payer en termes de prise en charge de sa requête. “Salam alikoum”, et pas une de ces profanes formules résiduelles que la tradition ou l’occidentalisme persistent à faire survivre !

Un vieux sketch de Kaci Tizi Ouzou raconte l’histoire d’un rural qui arrive à Alger et qui dit “salam alikoum” à tous ceux qu’il rencontre sur son chemin. Il était la risée de citadins qui ne comprenaient pas qu’on puisse saluer toutes les personnes qu’on rencontre, dans une ville de trois millions d’habitants. Aujourd’hui, l’artiste aurait pu renverser la parodie, puisque le ridicule consiste à passer son chemin sans se préoccuper des personnes qu’on croise.

Depuis que l’État a cessé de résister à l’intégrisme, la société croyant — ou, plus sûrement, faisant semblant de croire — en l’illusion réconciliatrice a aussi cessé de résister. Il ne faut pas croire que les Algériens communiquent parce qu’ils se lancent des salamalecs à tout bout de champ : jamais ils ne se sont autant parlés que durant “la décennie noire”. Dans l’affrontement, mais le débat s’imposait à toutes les prétentions, contrairement à aujourd’hui où l’on se “réconcilie” sans avoir rien à se dire, où l’on s’impose sans avoir rien à dire sinon de creuses formules éditées par le pouvoir et les talibans locaux.

La société est mûre pour l’ordre théocratique, puisque ses membres exécutent les injonctions de tout apprenti sorcier, sans vérifier la légitimité cultuelle du gourou improvisé. Comme la connaissance du culte n’est pas le fort de la masse, l’islamisme procède par alignement. Par pans entiers, la société se laisse dicter les détails de sa conduite publique, tenue, salut, attitude, dans un mouvement d’uniformisation dictée par la multitude d’imams improvisés qu’on trouve dans les bureaux, dans le taxi, dans les salons de coiffure, dans les commissariats, dans les casernes et même dans les bars.

Les institutions de la République sont mûres pour l’État théocratique. Des agents se transforment en gardiens de la vertu. Et le fidèle a remplacé le citoyen.

Mustapha Hammouche

Leave a Reply

You must be logged in to post a comment.

intelligence artiste judiciaire personne algériens pays nationale intelligence algérie artistes benchicou renseignement algérie carrefour harga chroniques économique chronique judiciaire économie intelligence chronique alimentaire production art liberté justes histoire citernes sommeil crise alimentaire carrefour économie culture monde temps
 
Fermer
E-mail It