Le projet sacré
La troisième plus importante mosquée du monde va être construite à Alger. Les deux premières occupent, en Arabie Saoudite, des lieux saints qui attirent un pèlerinage régulier et soutenu de fidèles du monde entier. Ce qui leur donne une fonction ritualiste et indirectement… économique.
On ignore ce qui, pour le projet d’Alger, a motivé l’option pour une capacité prévisionnelle d’accueil de 160 000 fidèles. Comme on ignore son coût final. Mais cette capacité viendra s’ajouter à celle de centaines de mosquées existantes à Alger et dans ses banlieues. On peut se demander si la manière d’exploiter, périodiquement ou régulièrement, les capacités de cette mosquée a été prévue ou s’il s’agit d’une taille arbitrairement déterminée, sans lien avec son usage anticipé.
Si le financement de la construction, dont on ignore le montant, pourrait apparemment atteindre les cinq milliards de dollars et ne semble pas poser de problème en l’état actuel du Trésor, rien n’est dit sur les modalités de financement du fonctionnement d’une telle institution et de l’entretien d’un tel édifice dans le futur. La création d’un poste budgétaire aussi important pour les finances publiques mérite peut-être quelque exercice de prospective. Contrairement à l’Arabie Saoudite, l’Algérie ne bénéficie pas de l’apport financier d’un pèlerinage religieux.
Mais comme le projet semble indépendant de la gestion gouvernementale, les institutions ne se sentent pas assignées à faire ce genre d’évaluations. Ni d’autres, d’ailleurs.
En matière d’aménagement, la question se pose de savoir comment un pays qui n’a pas de solution, même prévisionnelle, à l’épineux problème des transports urbains de sa capitale s’offre une problématique de déplacement de 160 000 personnes à réunir et à évacuer à partir de la principale voie d’entrée et de sortie de la ville !
Il y aura aussi besoin d’une importante fonction d’entretien des installations et de leur environnement. À voir l’état général de la ville, nous n’avons pas encore acquis la capacité de maintenir un site aussi complexe dans des conditions compatibles avec son statut.
Le projet impose une problématique sécuritaire. Quand les supporters de certains clubs de football refluent vers la ville, une atmosphère de frayeur s’empare d’elle, et l’État est parfois contraint de jalonner les grandes avenues d’un service d’ordre. Or l’histoire politique récente nous apprend qu’il suffit d’un prêcheur zélé pour transformer le minbar en tribune d’appel à l’insurrection. Pour l’heure, ces prêcheurs n’ont jamais pu exercer leur talent incendiaire devant un public qui fait trois fois le stade du 5-Juillet.
À notre connaissance, ces exemples de possibles appréhensions n’ont pas eu de réponses parce que celles-ci n’ont pas peut-être pas été formulées. Il y a comme une confusion entre le projet et son objet : et c’est le projet qui semble bénéficier de la sacralité. Les ministères, les élus et les institutions chargées d’appliquer le principe de prudence se sont comme mis en veilleuse à ce sujet. Ici, comme ailleurs, la génération future se débrouillera avec les conséquences.
Pourtant, le projet pour être d’initiative présidentielle n’en est pas moins, par son financement et son impact, un projet national.
Mustapha Hammouche