Les “acquis” du processus de Barcelone
Une récente étude d’Anima*, une plateforme multipays de développement économique de la Méditerranée qui réunit une trentaine d’agences gouvernementales de promotion de l’investissement dans la région (dont l’Andi), dresse un bilan sans concession du processus de Barcelone auquel notre pays est partie prenante. Intitulée «Barcelone, processus inaccompli», l’étude, signée de Bénédict de Saint-Laurent, constate «des progrès sans véritable rupture», voire même une «léthargie» certaine dans un contexte géopolitique «régulièrement perturbé» qui ajoute au pessimisme.
Le processus de Barcelone serait «inachevé », au «milieu du gué», voire quelque peu «enlisé », mais il obéirait à une tendance lourde de convergence depuis 2000, succédant à une période de faible divergence. S’attardant sur les effets positifs majeurs résultant du processus de Barcelone tel qu’il est mis en œuvre par la Commission européenne, le rapport souligne quatre acquis «indéniables». Le premier tient au «rétablissement quasimaestrichien des équilibres macro-économiques » avec une baisse de l’inflation, de la dette publique et du déficit budgétaire.
Le second mérite du processus de Barcelone est d’avoir «préparé les conditions, légales et commerciales d’un développement des affaires dans le Bassin méditerranéen», grâce à la création d’une zone de libre-échange, la libéralisation et l’ouverture à la concurrence d’économies anciennement étatiques et monopolistiques, des réformes fiscales et bancaires, la facilitation de l’investissement. En un mot «une meilleure visibilité à moyen terme par les entreprises».
Le troisième mérite de Barcelone serait une «injection directe de capital » au titre de la politique de voisinage. Elle aurait coûté à chaque contribuable européen 8,3 euros par an de 1995 à 2006 et lui coûterait 12 euros de 2007 à 2013. Quatrième acquis : «l’accroissement spectaculaire et récent de l’investissement direct étranger (IDE)». Le bilan conforte, malgré ses lacunes, les promoteurs du processus de Barcelone. Ils avaient formulé l’avenir immédiat en termes de rapprochement, autour de la notion de partage : partage de «valeurs communes», telles que la démocratie, le respect de l’Etat de droit, les libertés civiles et les droits de l’Homme, d’une part ; partage des «quatre libertés» (de circulation des biens, des capitaux, des services, et plus important encore, des personnes) qui constituent le socle de la zone de libre-échange en chantier, d’autre part.
Pour l’Union européenne, il s’agit d’établir un «cercle de pays amis», dans un cadre qui serait «davantage qu’un partenariat, mais moins qu’une adhésion», et qui viserait à terme de «tout» mettre en commun avec les voisins, «sauf les institutions» qui relèveraient de leur «statut personnel» en quelque sorte. Le processus repose sur un agenda de réformes politiques (inspiré par les «valeurs communes» déjà évoquées) et socio-économiques (passant notamment par l’adoption dans la législation nationale des voisins de certaines parties de l’acquis communautaire), dans l’espoir d’un alignement réglementaire et législatif sur les pratiques européennes, et la promotion des «quatre libertés».
Mais septembre 2001 est passé par là. L’intérêt commun est alors largement redéfini sous l’angle de la prise en compte des «nouvelles menaces» dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, telles que la pression migratoire en provenance des pays tiers, la traite des êtres humains et le terrorisme ». On passe alors d’une offre de régime de libre circulation à la mise en place d’un système de contrôle différencié, visant à faciliter la circulation de certaines catégories de personnes dites « légitimes » tout en augmentant les capacités à contrôler les mouvements considérés comme «illégitimes».
Avec l’Algérie, l’accord d’association entré en vigueur le 1er septembre 2005 prévoit l’établissement progressif pendant douze ans d’une zone de libre échange. Les Douanes algériennes ont entrepris le démantèlement, à partir du 1er septembre dernier, du reste des lignes tarifaires relatives aux produits industriels figurant au tarif douanier conformément aux dispositions de l’accord. «Outre les marchandises relevant de l’annexe 2 qui ont été immédiatement exonérées en septembre 2005, l’accord prévoit, en effet, que les droits de douane et les taxes d’effet équivalent sur les autres produits industriels (chapitres 25 à 97) seront éliminés progressivement deux années après l’entrée en vigueur et selon les schémas portés par l’article 9 de l’accord d’association entre l’Algérie et l’UE», indique la direction générale des douanes.
Il est ainsi attendu qu’après deux années d’entrée en vigueur de l’accord, les droits et taxes soient ramenés à 80% du droit de base. Ils seront de l’ordre de 70% à la troisième année, de 60% à la quatrième année jusqu’à atteindre 20% à la sixième année puis à disparaître après sept ans d’application. Pour d’autres produits, le démantèlement sera de l’ordre de 90%. Autre impact significatif du démantèlement : la baisse des prix des produits fabriqués dans l’Union européenne sur le marché national. Mais ils restent peu compétitifs par rapport à ceux des produits asiatiques — inférieurs de 30 % par rapport aux produits fabriqués en Europe. Le renchérissement de l’euro par rapport au dollar (monnaie de la zone Asie) participe à l’accroissement du différentiel. A court terme, l’ouverture des frontières provoquera deux effets mécaniques, l’un d’ordre économique, l’autre politique. Au plan commercial, la hausse des importations aggravera fortement le déficit commercial.
Jusqu’à présent, les pays de la rive sud bénéficiaient de préférences commerciales sur le marché européen, mais demeuraient fortement protégés. Désormais, ils devront affronter la concurrence des produits industriels européens en leur ouvrant leurs marchés à partir de 2010. De plus, la suppression de droits de douane va considérablement réduire les recettes de l’administration, ce qui la contraindra à moderniser radicalement ses systèmes fiscaux, notamment l’imposition des revenus. Dans le cas algérien, le démantèlement tarifaire se traduira par des pertes de recouvrement de droits et taxes estimées à 1,5 – 2% du PIB à l’horizon 2018. Il faut savoir que les recettes douanières représentent aujourd’hui 28 % du produit fiscal dans notre pays. Les pays méditerranéens doivent aussi moderniser leurs sociétés et notamment le rôle des pouvoirs publics.
En dépit des réformes économiques sans cesse proclamées, le poids du politique reste souvent important et surtout arbitraire. Cela crée un climat peu favorable à l’entreprise et à l’investissement, aussi bien interne qu’externe. Les pays méditerranéens, cloisonnés en marchés nationaux exigus, s’avèrent peu attractifs pour les investisseurs : ils ne drainent que 5% des investissements directs à l’étranger dans les pays émergents. Dans ce jeu, comme au bon vieux temps, la politique de la carotte est naturellement primordiale : la Commission a ainsi proposé la création progressive d’une zone de libre-échange assortie d’un triplement du volume de son aide qui reste toutefois relativement faible (4,7 milliards d’écus).
«L’ajustement progressif » requis par l’article 42 de l’accord prévoit qu’à la fin de la cinquième année aucune «discrimination » ne persistera dans l’approvisionnement et la commercialisation des marchandises. Une libre circulation de biens, de capitaux et de services, sans circulation de personnes. Un «commerce orphelin». Selon la Chambre algérienne de commerce et d’industrie, les importations algériennes en provenance de l’UE représentaient 56,53% de nos importations durant le premier trimestre 2006, contre 52,19% au cours des trois premiers mois de l’année suivante. Cette part a également régressé en comparaison avec la première année de mise en œuvre de l’accord d’association où elle était de 53,83%. Une baisse qui profite à la Chine, à la Turquie et à Dubaï, des pays qui ont augmenté de 20 % par an leur commerce avec l’Algérie. A quand des zones de libre-échange avec eux ?
Ammar Belhimer
*Anima Investment
Network, «Barcelone,
processus inaccompli»,
Bilan, 04/01/2008