La crainte ou le souhait ?
Il était bien tôt pour ce genre de projections politiques ! Et pourtant ! L’homme qui me parle ne porte plus, été comme hiver, que des gandouras et s’il fait froid il remet un vieux blouson au cuir marron, plus râpé que la peau de son visage que se disputent une barbe rare et des rides abondantes allant dans tous les sens.
Il s’est trouvé un tout petit morceau de terrain au fin fond d’un oued et depuis il lésine pour terminer une maisonnette qui monte au hasard de ses économies et elles ne lui permettent jamais d’acheter plus que quelques sacs de ciment et ce qui va avec de gravier, de sable et de parpaing.
Il roule, sans jeu de mots, au couscous, au pain de semoule si nourrissant et si bourratif, aux nouilles, au lentilles… bref à tout ce qui permet de remplir un ventre sans trop de frais et il roule bien sûr au lait. En 18 ans, il n’a pas réussi à sortir de la boue comme disent ceux qui construisent pour signifier qu’ils ont, enfin, terminé de sortir les piliers et terminé la plate-forme.
Mais il a un chez lui, il a son lopin et il a son parpaing pour habiter. En somme, il existe et il se bat avec ses faibles moyens. Jamais, tout au long de ces longues années pendant lesquelles j’ai échangé propos et salutations avec lui, je ne l’ai entendu parler de politique, pas une seule fois. Et là, sans transition, les mots de bonjour échangés, il m’annonce que cela va exploser. Qu’est-ce qui va exploser ? Un 5 Octobre !
Et il continue : mais cette fois, ils vont tirer sur le peuple, pire que la première fois ! «Ils», dans la connotation, c’est évidemment le pouvoir. Imaginez ma surprise d’une première discussion politique qui démarre sur les chapeaux de roues avec cette vieille connaissance ! Bien sûr, je lui demande les raisons de cette explosion sociale : mais tout a augmenté ! me répond-il. Pour le pousser plus avant, je lui avoue ne connaître que la flambée du prix de l’huile.
Il me sort une liste impressionnante de produits et leur prix dans le détail, toujours sans jeu de mots, y compris la vente spéculative du sachet de lait à 40 DA. Je comprends bien que cette flambée des prix lui rendra encore plus difficiles ses acrobaties financières pour continuer à rêver d’une maison enfin achevée.
Mais je n’ai pas très bien compris s’il craignait vraiment cette explosion ou s’il la désirait pour mettre un terme à la dégradation de son quotidien. Je penche plutôt pour la deuxième hypothèse car seule une révolte miraculeuse peut, dans l’esprit de très nombreux compatriotes qui m’ont parlé, mettre sous le nez du pouvoir les résultats de sa politique.
Mais enfin, si un vieux en arrive à craindre ou à souhaiter que cela explose qu’est-ce qui doit se passer dans la tête d’un jeune ? Justement, en termes d’explosion ?
MOHAMED BOUHAMIDI