La mémoire, toute la mémoire
Le président de la République française avançait donc, dès son arrivée, la position de son pays : “Oui, le système colonial a été profondément injuste et contraire aux trois mots qui fondent la République : liberté, égalité, fraternité.”
Insuffisant progrès — dixit Zerhouni —, mais progrès quand même. Le lendemain, Sarkozy proclame que son pays est prêt “à regarder en face cette partie de notre histoire et à la considérer sans tabou, y compris dans ce qu’elle a de plus sombre”. Si des contrats commerciaux et des questions de visas ne peuvent pas souffrir de patienter jusqu’à la satisfaction de l’exigence de repentance, le devoir de vérité mérite bien de ne pas attendre tel préalable.
La veille, Sarkozy s’est rappelé une autre phase tragique, et récente, de notre histoire en rendant hommage aux victimes des terroristes et en accordant une portée universelle à la résistance des Algériens au terrorisme islamiste. “Le peuple algérien a combattu seul au nom de valeurs qui nous sont communes : la tolérance, la liberté et le refus de la violence”, a-t-il déclaré.
En notant l’isolement de la résistance au terrorisme menée au nom de valeurs “communes”, le président français concède, a posteriori, que son pays n’a pas toujours été du bon côté du front dans cette guerre contre le terrorisme. Qu’importe si la confession lui donne l’occasion de charger la gauche française, alors aux affaires, de ce crime de non-assistance à ces valeurs “communes” en danger.
“Ceux qui lui faisaient la leçon [à l’Algérie] se plaçaient de facto du côté des ennemis de la démocratie”, rappelle-t-il. Sarkozy ne croit peut-être pas si bien dire tant l’isolement, voire le bannissement moral de ceux qu’on appelle encore les “éradicateurs” a contrarié la lutte contre le terrorisme. Celle-ci n’a pas été dénoncée par les seuls “Qui tue qui ?” de Paris et de Rome, mais aussi par ceux d’Alger et les forces qui, ici, y trouvaient motif à troquer la république contre le salut de leur âme.
Les alliances et les démissions, dont l’islamisme et, partant, son expression violente ont bénéficié en Algérie même se sont transformées en mouvement de réconciliation islamo-conservatrice. Les “ennemis de la démocratie” ont largement compensé l’échec de leur offensive armée par le triomphe de leur stratégie politique de jonction entre leur idéologie et le système de la rente. La résistance populaire et institutionnelle a peut-être réduit les capacités meurtrières du terrorisme, mais n’a pas pu éloigner le danger qui menace la démocratie et qui, au demeurant, l’a significativement épuisée. Le péril “taliban” que Sarkozy croit — ou fait semblant de croire — dépassé est toujours d’actualité.
Cet épisode — d’histoire universelle, d’un certain point de vue — continue. On a cru pouvoir le refouler par référendum, mais il mérite à son tour d’être soumis, un jour, au jugement de l’Histoire.
Encore un effort, Monsieur le Président, sur le passé colonial de la France ! Il nous restera à cultiver la mémoire de la résistance au terrorisme. La mémoire est toute ou n’est pas, en effet.
Mustapha Hammouche