Silence

Ils ont de quoi avoir les jetons quand des élections approchent ! Ils ? Ceux de là-haut bien sûr. Les auréolés, les inamovibles. Ceux à qui un ange est venu, une nuit de pleine lune, susurrer au creux de l’oreille qu’ils sont missionnés pour sauver le pays de la perdition. Par qui ? Dieu, la patrie ? Par eux-mêmes, tiens ! Ils ont des raisons d’avoir la frousse des abstentionnistes. L’abstention, c’est un silence et ce silence- là est chargé d’électricité. Il porte l’orage. C’est un silence de fracas. Ils le savent. Ils l’ont toujours su.

C’est pourquoi ils ne l’ont jamais laissé s’installer, ce silence éloquent, dense, inquiétant. Depuis le taux record qui a transformé les législatives de mai dernier en leurre, le fait est confirmé : les Algériens ne croient pas à ces simulacres qui consistent souvent à entériner des partages élaborés ailleurs que par la volonté populaire. Y croyaient-ils ? Peut-être. Pas tous, en tout cas. Le fait nouveau, c’est que par l’abstention massive, ils l’ont dit. Face à face, droit dans les yeux. Sans conteste !

Et, de plus, comme ça ne semble pas avoir été bien compris, ils le répètent. Par la faiblesse du taux de réponse à la lettre dans laquelle le ministère de l’Intérieur, sous prétexte de comprendre les raisons de la désaffection des électeurs, émettait en fait le message subliminal suivant : nous savons que vous n’avez pas voté ! La part de menaces est dans le non-dit. Mais elle est si grosse, cette part ! Eh bien, les abstentionnistes se rebiffent.

Ils assument. Ils redisent distinctement : «Vous ne nous faites pas peur, va !» Longtemps, les électeurs se sont rendus aux urnes moins par conviction de participer à la construction citoyenne de leur destin que par peur. Peur que sans la carte de vote dûment estampillée, ils n’aient plus droit à la carte d’identité, au passeport, au permis de conduire. Pis : au logement ! Alors, pour ne pas être dépossédés de ces droits, ils se prenaient par la main et allaient déposer le bulletin que vous voulez dans l’urne que vous voulez. Pourvu qu’ils ne restent pas otages de la vente concomitante : voix contre droits !

Les petits arrangements après la fermeture des bureaux de vote terminaient le travail. On obtenait ce que vous avez toujours vu dans l’Algérie indépendante : des «élus» au sens religieux du terme. Ils montent sur le cadavre de leurs électeurs pour atteindre le paradis terrestre fait de petites combines et de grandes manœuvres. Tous ? Non, bien sûr. Heureusement, dans ce pays dont les vrais libérateurs ont une si longue et si riche expérience politique, le système mafieux n’est pas parvenu à araser la pratique politique au sens noble du terme ! Il existe encore des militants au service de leur peuple ou, à tout le moins, d’un idéal. Hélas, la seule fois où les électeurs ont eu réellement le choix, ils ont voté pour les islamistes.

Ce vote a sans doute le même sens que l’abstention d’aujourd’hui. On pinaille ? D’accord, il y a eu de la retouche dans les résultats. D’accord, les islamistes n’ont pas laissé s’échapper une miche de voix. D’accord, en conséquence des habituels calculs machiavéliques dont certains de nos laboratoires ont le secret, on a «aidé» les islamistes à gagner. D’accord pour tout ça. Il n’en demeure pas moins que pendant un an et demi à peu près, ils ont conduit plus de 80% des mairies du pays, au fronton desquelles ils ont apposé impunément «mairies islamiques». La suite, on la connaît.

La suite, elle se poursuit sous d’autres formes. Sortis par la porte, ils reviennent par la fenêtre, vaccinant en rappel les électeurs contre les élections. L’abstention vient aussi de tout ce mic-mac. Elle est la conséquence de la conscience des citoyens que tout finit, dans ce système perverti, en jeux de pouvoir. Tout acte citoyen finit par être récupéré et entaché des calculs de sérail. Une règle (presque) immuable : qui que vous élisiez, il se sert. C’est terrible, cette constance. Les électeurs ont vu de leurs propres yeux ces élus qui disaient représenter le peuple, mastiquer à la même cadence que ceux des bureaux noirs.

Il faut un jour établir le bilan des mairies FIS. Mais si on s’amusait à établir tous les bilans qui doivent l’être, le pays déposerait réellement le bilan.Une fois dressés tous ces constats amers, il reste que nous avons besoin de maires, d’adjoints au maire, des membres des conseils communaux et de wilaya. Où faut-il les chercher ? Quelle est la moins mauvaise formule pour un minimum de représentativité ? C’est toute la question. Au prétexte que le jeu est fermé, est-il fatal de rester en dehors ? Certainement pas. La reconstruction du politique passe par l’engagement et la lutte contre la démobilisation et la désaffection.

Tant que les servants du système jouent seuls, ils joueront pour eux. Le silence, même inquiétant, même pesant, ils s’en accommodent. Ils en ont peur certes, mais ils ont encore plus peur de la parole. Il est vital pour ce pays que des élections comme celles qui viennent d’avoir lieu cessent d’être une sorte de «délit d’initiés» impliquant seulement des «politiques». La politique, c’est le fait de se mêler de ce qui nous regarde.

Arezki Metref

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