Les fruits de la cacophonie
Viendra, viendra pas ! Cette histoire d’Enrico concerne si peu un peuple qui patauge dans la gadoue, aux sens propre et figuré.
Il n’est pas sûr qu’elle intéresse le concerné. Un petit coup de pub et une petite opération de victimisation ne feront pas de mal à un artiste qui vit sur le succès du lamento.
Si la polémique fait l’affaire d’une mouvance menée par Belkhadem et d’une autre adverse, mais qui représentent toutes les deux la voix de l’Algérie, il n’est pas étonnant qu’on en arrive à des incidents du genre de celui provoqué par le ministre des Moudjahidine. Peut-être que nous, journalistes, n’avons pas le choix de l’ordre du jour, mais si le sujet alimente les conversations des désœuvrés, il n’est pas certain qu’il passionne la majorité pressurée par sa condition d’Algériens contraints à toutes les réconciliations et à tous les ressentiments. Aimer et honorer, haïr et maudire au coup de sifflet des amis et des ennemis qu’on nous désigne, voilà ce qu’on attend d’un bon patriote aujourd’hui.
Le ministre des Moudjahidine a peut-être succombé à l’appel d’une chapelle pour se fendre ainsi d’une thèse sur “les origines du président français” qui expliquerait son attitude en politique étrangère. Rappelé à l’ordre, ou simplement réveillé aux effets diplomatiques de ses déclarations, Mohamed Chérif Abbas voudrait s’en sortir en se déclarant “étonné” et “mécontent” des effets que le journal El Khabar lui a attribués en reproduisant l’entretien que le ministre lui a accordé.
On peut à notre tour s’étonner que le ministre ait mis deux jours à réagir à la publication de ses propos qu’il ne reconnaît finalement pas. Bien après que la presse française, puis un porte-parole du Quai d’Orsay aient relevé la gravité du propos.
Pour qui observe l’expression publique de l’État, il n’y a rien de surprenant dans la liberté de ton qui la caractérise. Nous avons l’habitude de voir dans la communication officielle de la traduction des humeurs divergentes de responsables. Ce n’est que lorsque la cacophonie pose problème au pouvoir que le besoin de clarification se fait sentir.
Et, alors là, invariablement, le responsable pris en défaut se défausse sur la presse qui aurait inventé ou déformé la parole du représentant officiel qui aurait mal représenté la position officielle. La raison d’État est sauve et l’apparence de mesure et de cohérence dans l’expression publique aussi.
Le ministre de l’Intérieur avait déjà expérimenté l’échappatoire quand il s’est agi d’écrire aux abstentionnistes des législatives de mai dernier. Le lendemain de sa déclaration, il n’était plus question de demander aux citoyens les raisons de leur abstention, mais simplement leur éventuelle nouvelle adresse. Les journalistes avaient inventé la question originelle.
La dissonance est permanente dans un pouvoir qui ne sait plus s’il veut réviser la Constitution ou pas, privatiser le CPA ou pas, exiger la repentance de la France ou pas, construire la grande mosquée ou pas, juger Hattab ou pas… Mais au lieu de mettre de l’ordre dans sa maison, et subséquemment dans son discours, on accuse la profession journalistique “de terroriser par la plume”, de “manquer de professionnalisme” et de mal défendre “l’image du pays”.
Mustapha Hammouche