Terrorisme et égarement

On avait perdu l’habitude de cette saisissante sensation qui vous serre l’estomac durant le trajet entre la rédaction et le lieu de l’explosion. On avait oublié ce pressant sentiment de colère et de peine à la vue des blessés qu’on embarque encore.
Les scènes de carnages qui ont jalonné les années noires défilent à nouveau dans nos têtes. Pourtant, le terrorisme n’est plus ce qu’il était. Quand l’Algérie inaugurait l’ère du terrorisme islamiste, son épreuve était de partout regardée comme le résultat d’une aspiration théocratique populaire contrariée par un pouvoir soutenu par des forces acculturées. Il fallait, au mieux, la laisser se sortir seule de l’impasse où elle s’est fourvoyée ou, au pire, accabler de “Qui tue qui ?” tous ceux qui refusaient la fatalité obscurantiste.

Ce terrorisme-là a été vaincu. Parce que le pouvoir, même dépourvu de légitimité, n’avait d’autre choix que de défendre l’État et parce que des citoyens se sont levés en nombre pour défendre leur intégrité physique et morale contre la doctrine du crime. Entre-temps, l’islamisme, livré à lui-même, après que les États-Unis s’en soient délestés en Afghanistan, s’est redéployé en terrorisme tous azimuts. Le terrorisme algérien, trop affaibli par la lutte antiterroriste et l’autodéfense, s’est amarré à al-Qaïda, probablement pour bénéficier de son soutien logistique et idéologique.

Réduit à battre en retraite dans les maquis reculés, il en est à exprimer son existence par de sporadiques interventions, se consacrant surtout, et dans des périmètres limités, au racket.

Mais la lutte antiterroriste s’est providentiellement essoufflée au moment où les groupes terroristes, minés par les guerres entre factions et traqués par les forces de l’ordre et la résistance citoyenne, étaient en désespérance. Les redditions salutaires de l’AIS et des derniers éléments survivants du GIA étaient officiellement présentées comme une espèce de mouvement collectif d’examen de conscience chez les terroristes.

La procédure de réconciliation nationale, qui a surtout profité à des terroristes déjà neutralisés, condamnés ou en instance d’être jugés, en même temps qu’elle a désarmé la vigilance du citoyen et du fonctionnaire, a ragaillardi les rangs des adeptes de la violence djihadiste.

Le regain d’activisme est perceptible : les prises d’otages avec rançon se multiplient ; des véhicules charriant des armes ont été interceptés, des réseaux de soutien démantelés et les attentats se font de plus en plus fréquents. Mais l’opiniâtreté du discours de la réconciliation continue à néantiser la réalité sécuritaire. Le pouvoir ne semble pas avoir trouvé la stratégie qui réconcilie la nécessaire lutte antiterroriste et l’hypothétique attrait des mesures de réconciliation sur les groupes armés.

Avant-hier encore, Ouyahia disait que “chaque terroriste qui se rend, c’est une vie humaine préservée”. Il ajoutait que “c’était le devoir de la nation de tendre la main à ceux qui se sont égarés”. Mais piéger un véhicule d’explosifs, former un kamikaze et organiser un attentat contre le Palais du gouvernement nécessitent plus de stratégie que d’égarement.

Si, comme victimes potentielles, nous nous retrouvons, dix ans après, au même point, c’est que, quelque part, c’est nous qui nous sommes politiquement égarés.

Mustapha Hammouche

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