Ouyahia : félon ou missionnaire ?
«République des salons et des lobbies.» La formule est assurément indélicate lorsqu’elle ponctue les critiques d’un homme du sérail. En politique, comme en toute chose d’ailleurs, il faut savoir tirer les conséquences de ses propres désaccords en rompant en toute conscience les pactes anciens. Ouyahia le sait d’expérience lui qui est aux avant-postes de la vie publique depuis au moins 12 ans. Deux actes sont dorénavant attendus de sa part.
Celui de quitter solennellement l’alliance et par voie de conséquence retirer ses ministres du gouvernement. Qu’il ne le fasse pas dans l’immédiat risque de lui valoir personnellement un fâcheux retour du bâton. A une année des présidentielles, pour lesquelles il caresse des ambitions, il ne peut plus se contenter de jouer au pokermenteur à travers de ponctuelles opérations de communication. Pur produit des arcanes du système, il lui faudra s’affranchir de certaines connivences s’il veut, le moment venu, incarner l’alternance soft dans la continuité du système.
C’est donc à lui qu’incombe la responsabilité de provoquer une crise gouvernementale en se posant justement comme l’opposant positif à la dérive de l’intendance tout en ne remettant pas en cause ou en question les fondamentaux du régime. Autrement dit, il pourra représenter idéalement l’adversaire «intime» dans une succession ouverte tant que la constitution demeure en l’état. Lui qui n’a pas la réputation d’avoir été scrupuleusement regardant sur l’éthique en politique (ne fut-il pas un cynique ministre de la Justice quand les prisons brûlaient ?
Et n’a-t-il pas joué à la girouette quand il occupa la primature ?) ; lui donc joue son avenir personnel à travers la polémique qu’il vient d’engager. En effet, l’ensemble des commentaires de presse mettent en relief cette audace nouvelle chez un personnage, jusque-là plutôt à l’aise dans la servitude. De plus, ce n’est pas le terne Belkhadem qu’il visait mais bien le sommet de l’exécutif. Toutes les rumeurs qui entourent la capacité du président à avoir encore la main ferme sur le char de l’État ne trouvent-elles pas un certain écho dans cette liberté de ton que l’on ne connaissait guère que chez les oppositions radicales ?
Bien évidemment, l’on doit s’attendre à ce qu’il clarifie sa pensée, c’est-à-dire à arrondir les angles afin d’amortir la brutalité des ripostes qui le guettent. Car, dans le dernier carré des fidèles du président, l’on boit déjà du petit-lait pour fêter la future répudiation du gaffeur. Pour ceux-là, la légendaire roublardise de l’homme vient d’être prise, pour une fois, en défaut. Il aurait parlé trop tôt et surtout haussé la critique jusqu’à éclabousser l’ensemble de l’architecture du pouvoir. A la photo-synthèse de l’économie de la rente et de la rapine qu’il vient d’établir, il ne manquait qu’un adjectif qualificatif : celui de «pratiques maffieuses».
Qu’il n’ait pas osé le dire, «franco de port» comme le sont tous les conteneurs de l’import-import, n’a pas empêché les lecteurs d’en deviner l’allusion. Difficile pour lui de se dédire après tant de précisions peu gratifiantes pour l’image globale des affaires publiques. Aussi il ne lui reste qu’à assumer, comme on dit, sa colère et son chagrin surtout qu’il serait malvenu de sa part de se défausser sur le respectable devoir démocratique de contester et d’émettre des réserves sans pour autant porter ombrage aux pactes politiques.
Les Algériens savent bien que cette posture intellectuelle est étrangère à la pratique de nos pouvoirs. Qui mieux que lui sait que les solidarités dans le premier cercle ne se déclinent qu’à travers l’allégeance muette ? Le célébrissime calculateur froid qui sommeille en lui n’aurait, en fait, pas dérapé comme le pensent ou le souhaitent les comparses égratignés. Pourquoi donc ne pas envisager la possibilité qu’il ait agi et parlé en «service commandé» avec pour mission de brouiller le crédit du président d’abord ? Or, l’interrogation renvoie fatalement au tabou des commanditaires et des scenarii que l’on est en train d’échafauder dans certains cabinets.
L’hypothèse d’un Ouyahia actionné en éclaireur est d’autant plus séduisante quelle a eu des précédents. L’été 1998, la déstabilisation d’un Zeroual poussé à la démission ne fut-elle pas orchestrée à partir d’une virulente campagne de presse ? Comme il n’y a rien de hasardeux dans la répétition, souvenons-nous que le même Ouyahia, alors chef du gouvernement, s’empressa de squatter le RND avant de rejoindre la cohorte des réseaux de soutien au candidat Bouteflika. Acteur protéiforme à l’infidélité politique notoire, dix ans plus tard il est toujours disponible dans les moments cruciaux.
Le fait que Bouteflika rencontre d’énormes réticences des milieux influents quant au réaménagement de la constitution outre qu’il n’est plus un secret d’Etat pose par ailleurs la délicate équation d’une succession autrement plus problématique qu’en 1999. Et cela au regard à l’immense ruse politique de l’homme à déboulonner. A plus d’un égard, Bouteflika n’est pas fait de la même étoffe que Zeroual. Difficile à désarçonner, il a toujours quelques coups d’avance sur ceux qui voudraient le prendre de vitesse.
Lui peut encore réaliser à travers le vote du Parlement le relookage de la Constitution, pierre d’achoppement du verrouillage de la compétition de 2009. Or, pour contourner cette carte maîtresse que le président a toujours en main il ne reste aux officines hostiles que la stratégie des bilans. Celui de juger son double mandat sur ses nombreux échecs. Pour ce faire, le profil de Ouyahia est tout indiqué dès l’instant où il peut se prévaloir d’un compagnonnage décevant.
C’est ce rôle de révélateur des pratiques internes qui doit irriguer ses futurs réquisitoires. La philippique de la semaine dernière est, bien entendu, le premier acte d’une campagne qui commence à peine. Comment réagira Bouteflika qui sent déjà le vent du boulet siffler à ses oreilles ? Et que restera- t-il de sa famille politique qui part par petits morceaux ? Autant d’hypothèques que seul lui peut lever. Mais alors à quoi ressemblera le grand ménage ?
Boubakeur Hamidechi