Les supérettes de Novembre
Début des années 80, l’Indépendance venait d’avoir vingt ans. Ferhat M’henni, dans la foulée d’un énième séjour en prison, dressait le bilan de la souveraineté retrouvée dans une magnifique chanson (Aâcrin n sna) que se partagent sa légendaire irrévérence, la profondeur de sa poésie et la fraîcheur de sa musique. Dans sa tête et celle de ceux qui partageaient ses colères, un autre Novembre, moins douloureux mais tout aussi généreux, était en gestation.
Vingt ans d’errements et une succession dans le doute. Parvenu au sommet dans les conditions que tout le monde sait, Chadli suggérait un vague changement dont personne ne connaissait vraiment les contours, ce qui accentuait encore le désarroi des Algériens. Le bémol dans le discours enflammé était perceptible, mais c’était trop peu pour rassurer. Le “parti de la France” devenait à la mode sans qu’on sache vraiment qui en était l’incarnation.
Bigeard se paie la une d’Algérie Actualité et Lotfi Meherzi, le collaborateur du journal qui l’avait interviewé devient le “collabo” tout court. Les plaies de la guerre étaient encore trop fraîches pour donner du “mon général” à celui qui a illustré le plus l’horreur du fait colonial. Le fait, pris comme une intolérable provocation, une grave dérive ou une atteinte à la mémoire, a mobilisé dans le microcosme.
Les intellectuels les plus éclairés et les baâthistes les plus intolérants. Les journalistes, sincèrement outrés par le “scandale” ou heureux de l’aubaine qui leur permettait d’en découdre, avaient sonné l’hallali. “C’est un appel à la censure”, avaient osé quelques voix téméraires vite étouffées. Novembre était encore trop proche du feu pour permettre le pas nonchalant qui raviverait à ce point la brûlure. Hizb França, quolibet anathème est repris dans des bouches qu’on n’attendait pas.
Une encore impossible décontraction repoussait le regard dépoussiéré et le débat serein. La sacralité de Novembre, à défaut d’être renforcée pour une heureuse trajectoire, s’est installée plus confortablement dans la jérémiade patriotarde. Conçue pour esquisser une perspective historique, la Guerre de libération a ouvert des supérettes aux combattants de la vingt-cinquième heure. Un demi-siècle après ,elle attend d’être restituée à la mémoire collective.
Novembre 88, dans un village haut perché appelé Ighil Imoula, Novembre venait de retrouver sa fête. Désertant les flonflons, Ali Zamoum et sa Djemmaâ ont rendu à un anniversaire la générosité des humbles et à des hommes exclus de leur mémoire la reconnaissance sincère d’un sacrifice. Arraché aux mains de ses ravisseurs , Novembre est encore capable de fertilité.
Slimane Laouari
Du coq à l’âne : De passage devant le siége de l’Assemblée nationale, quelqu’un voulait faire une finesse devant son copain en disant : ci-gît Monsieur le député. Non, rectifie l’autre : ci-jouit , Monsieur le député.