L’argent de la pauvreté
Régulièrement, les autorités nationales brandissent le montant des réserves de change comme une œuvre renouvelée. Le seul poste qui, dans nos grands équilibres, se tient est pourtant celui pour lequel ils ne peuvent rien, dépendant qu’il est du quota de production autorisé par l’Opep et de la Bourse des matières premières à Londres et New York.
Et si ce compte est tout de même approvisionné, ce n’est pas faute d’avoir indûment dépensé. De Khelifa aux zaouïas, en passant par les dédommagements des terroristes et de leurs familles, le soutien à des investisseurs sans fonds propres, les surcoûts imposés par la mauvaise gestion des projets, les manifestations de prestige et les dépenses de campagne, l’État a plutôt eu la main libérale.
Ce qui est sauvé de cette abusive prodigalité sert de slogan censé compenser l’improductivité économique du système politique. Très maladroitement, d’ailleurs, puisque le jour où le gouverneur de la Banque d’Algérie révèle le nouveau chiffre de la tire-lire, un autre organisme, relevant de l’État, annonce que 18% de nos enfants sont sous-alimentés. Un autre slogan avouait d’ailleurs indirectement l’état de dénutrition de larges franges de la population : les opérations de couffins et de secours de toutes sortes, largement médiatisées par le ministère de la Solidarité nationale.
Il n’était pas nécessaire d’attendre les résultats d’une quelconque enquête pour se convaincre du déficit alimentaire national. La mercuriale, obstinément indexée sur le cours du brut, renseigne depuis quelques mois sur les difficultés qu’éprouvent les ménages moyens à se nourrir. Que dire alors des plus pauvres ? Ne voyez-vous pas au marché ces vieilles qui viennent, confuses, vous demander discrètement de leur payer une livre de pommes de terre ? Ne voyez-vous pas ces messieurs à la dignité intacte qui, le soir venu, sortent retourner le contenu des poubelles ?
Les Algériens ont dû sortir tout leur argent, économies comprises, pour passer l’été, la rentrée et le Ramadhan, à moins que ce soit les plus fortunés d’entre eux qui soient en train de mettre le magot à l’abri, si bien que le système financier se retrouve en rupture de stock de liquidités. Le gouverneur aurait dû s’inquiéter de ce signe qui annonce l’inflation, l’appauvrissement des ménages ou la défiance du système bancaire. Ou le tout à la fois.
Au lieu de cela, il nous rassure sur les “chocs externes”. Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’alternative à la dépendance au marché des hydrocarbures ? Il n’y a pas à pavoiser qu’un État se targue d’avoir thésaurisé en écoulant son sous-sol.
L’investissement est pour le moins laborieux, les infrastructures, gouffres à surcoûts, mettent des éternités à se réaliser, et une partie de la rente est dissipée en faveur d’opportunistes coteries. Le reste devrait trouver son bonheur dans le feuilleton de l’enflement de ce trésor de guerre.
Et même si le dollar, notre monnaie de facturation, baisse par rapport à l’euro, notre monnaie d’achat, nous explique le ministre de l’Énergie, cela n’aura pas d’effet sur nos finances. Étrange défi à l’arithmétique et à la relativité !
Il n’y a donc pas que le paradoxe de la richesse et de la pauvreté réconciliées par notre étrange système ; il est aussi un défi à la simple logique.
Mustapha Hammouche