LE SALAIRE DU DÉSHONNEUR

Ce n’est plus un Parlement mais un comice de maquignons politiques où l’on se beurre frauduleusement. Ah ! La belle affaire des 30 millions mensuels… Une largesse douteuse pour acheter de futures docilités. Passez votre chemin, vous les doux pèlerins de l’éthique. Sympathiques rêveurs à la conscience inquiète par tant d’injustices. Car l’ordre des choses dicte désormais qu’un député vaut bien 25 smicards.

C’est-à-dire bien plus qu’une blanche, qui, elle, n’en compte que deux noires en musique. C’est que dans l’Algérie de 2008, l’on ne joue qu’à l’orphéon cette fanfare qui, loin d’adoucir les mœurs politiques, exacerbe l’arrogance des puissants. Ceux qui s’autorisent des somptuosités avec l’argent public afin de circonvenir tout ce qui entrave leurs desseins. Curieuse république où des députés sont «contraints» de s’enrichir par ordonnance, eux qui n’en demandaient pas tant. Une divine baraka qui, l’on s’en doute, n’est pas innocente.

De celle qui, justement, ne touche que les «élus» alors que les damnés de la soupe populaire en sont réduits à l’incantatoire patience. Entendons-nous bien : ce n’est pas tant la hauteur de la rémunération qui fait problème (d’ailleurs un manager d’entreprise et un cadre peuvent bien en exiger autant sinon plus), mais plutôt le dévoiement d’une vocation : la politique. En effet, pourquoi rétribuer en biens matériels et d’une façon scandaleuse un engagement qui, à l’origine, prétend servir une cause ? Le bien public, disent-ils 30 millions. Un montant indécent chaque fois qu’il est rapporté au seuil de la pauvreté nationale. Plus que parlant en terme d’écart dans les revenus, il est hurlant par son injuste caractère.

En effet, ne représente-t-il pas deux années de dur labeur pour un manœuvre du bâtiment ? L’on devrait même s’amuser (le verbe est impropre pour évoquer la tragique iniquité) à multiplier les comparaisons entre l’électeur virtuel, mais smicard effectif, et le député fantôme, mais nanti d’un réel compte en banque. Grosso modo, ce dernier percevra annuellement l’équivalent de 25 annuités de celui qu’il prétend représenter.

Et mieux (ou pire ?) encore, il accumulera en une mandature le revenu de cinq générations (125 ans) d’ouvriers ! Une générosité démesurée qui n’a, hélas, heurté que quelques consciences de parlementaires. Au moment où, dans sa majorité, cette chambre d’eunuques s’inclinait, par reconnaissance du ventre, devant cette fastueuse dotation, il s’en est trouvé heureusement quelques groupes de députés (RCD et PT) pour qui se «reclassement financier» sentait non-seulement le soufre mais finirait bien par laminer le peu de crédit dont ils pouvaient encore se prévaloir. Or, leur «non» bien que souligné par leurs déclarations est toujours soluble dans leur présence au Parlement. En somme, il n’est qu’un refus platonique tant qu’il ne sera pas suivi d’une démission.

Remettre des mandats pour n’avoir pas à cautionner d’abord la corruption rampante d’une institution et ensuite une feuille de route contestable à plus d’un titre, c’est désormais ce qui est attendu de ces courants dont on sait qu’ils sont en quasi porte-à-faux dans ce Parlement unanimiste. Une initiative inutile parce que minoritaire ? Sûrement en partie seulement, car en ces temps de grandes manœuvres, la moindre contestation a encore des chances de perturber le scénario final.

Autant supposer que Saïd Sadi et Louisa Hanoune ont opportunément une bonne carte politique à jouer. Quant aux autres familles politiques majoritairement peuplées de carriéristes, seul le dépit anxieux de quelques électeurs, inconnus d’eux, est en mesure de leur déciller le regard en leur décrivant la pitoyable réputation qu’elles traînent. Mais comment leur faire parvenir un tel massage si ce n’est à imaginer ces smicards blousés qui interpellent le mandataire de leur circonscription.

Ils pourraient lui écrire ceci… «Monsieur le député, depuis le printemps 2007, lorsque nous avions appris par les journaux que nous avions «voté» à notre insu et que, par conséquent, vous êtes notre nouveau mandataire chargé des lois de la République, nous ne sommes pas indignés outre mesure. Ayant depuis longtemps perdu le sens des saines colères, nous nous sommes fait une sagesse et une raison. Tout au plus, en vous évoquant entre nous, nous vous devinions si près de vos intérêts et votre carrière et si loin des préoccupations de ces électeurs virtuels que nous sommes.

Vous comprendrez donc aisément qu’il nous arrive souvent d’ignorer votre activité et jusqu’à oublier à la fois votre nom et le sigle du parti qui vous a envoyé jusqu’à Alger. Nous n’en souffrions pas de cette méconnaissance, car rien de bien grave ne risquait de nous arriver dans notre obscure bourgade où nous avions toute la latitude de faire et défaire la république chaque matin au gré de la lecture des journaux. Nous en étions même bien aise de pouvoir brocarder les princes et les valets qui nous gouvernent si mal et dont vous êtes, vous, leur obligé.

Il nous arrive même de nous payer de franches rigolades à la lecture des déclarations de ces «respectables» ministres qui planifient nos lendemains. C’est que, monsieur le député, nous sommes les seuls en compagnie de nos semblables, à voir passer quotidiennement le «lendemain» annoncé sans y déceler un seul changement. Rien de tel, voyez-vous, pour renforcer notre pessimisme. Nous qui avions renoncé depuis des lustres au radeau de vos promesses, nous sommes désormais disposés à accueillir le pire sans nous plaindre. Jusque-là, par conséquent, rien en vérité ne nous liait à votre destin personnel. Vous étiez un parlementaire parachuté contre notre bon gré dans notre circonscription.

Et vous résidez à plein temps dans la capitale, comme nous, nous trimons à temps plein pour survivre avec le revenu minimum. Que vous soyez défrayé grassement par la république, alors que nous émargeons dans la précarité, n’est pas le sujet central de notre malentendu. Celui-ci se nourrit avant tout de votre indifférence et votre déloyauté à l’égard des petites gens sans défense. Faut-il vous rappeler à ce propos que l’auguste institution où vous siégez n’est rien d’autre qu’une chambre d’enregistrement. Vous et la majorité des familles politiques n’aviez-vous pas voté des lois boiteuses ? Et même aviez accepté de légiférer sans débat subissant, comme ce fut le cas le 16 septembre 2008, l’humiliation du recours à l’ordonnance.

Que vous ayez tiré un profit substantiel pour votre statut ne vous rend qu’odieusement un peu plus impopulaires. Si, évidemment, ce dernier qualificatif a encore quelque sens pour vous. Ne vous croyant pas capable d’examen de conscience, nous sommes désormais tout à fait qualifiés pour décréter que vous n’avez jamais été député de la Nation mais uniquement hochet d’un pouvoir.

Sachant d’expérience ce que ce dernier réserve à chacun de ses courtisans, nous vous souhaitons, monsieur le député, bien du plaisir pour la suite de votre carrière…» Après avoir conclu leur courrier, ces épistoliers de province hésitèrent un moment avant de rajouter en bas de page : «…Dans l’attente d’une répudiation politique et du déshonneur public qui va avec, prenez acte, chers députés, de notre mépris pour la duplicité dont vous faites preuve.»

Boubakeur Hamidechi

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