Le salafisme s’implante en douce dans la société : Quand la fetwamania envahit le pays

Au-delà de la polémique sur le non-respect des horaires de prière, le Ramadhan 2008 se caractérise par une profusion de fetwas aussi rocambolesques les unes que les autres. De la zalabia haram jusqu’à la corruption halal, c’est un nouveau phénomène qui apparaît, celui qui pousse les jeunes à demander l’avis d’un imam sur tout ce qu’ils entreprennent. La société a-t-elle perdu tous ses repères ?

Depuis le début du Ramadhan, et à plusieurs reprises, le sujet des fetwas est revenu au-devant de la scène, remettant sur le tapis la problématique de la nomination d’un mufti de la République en Algérie. Un poste qui avait déjà suscité une grande controverse entre le ministère des Affaires religieuses et le Haut-Conseil islamique (HCI) sur la question des prérogatives notamment. Cette année, tout a commencé par le débat sur la nuit du doute (laylat echek) pour déterminer le début du mois sacré, pour aboutir, à la fin, à la question de savoir si la zalabia était… haram ou non. Le ministère des Affaires religieuses, qui arrive difficilement à contrôler les mosquées au moment où la mouvance salafiste tente de gagner du terrain en Algérie, a rendu public un communiqué dans lequel il met en garde contre le non-respect des horaires de prière, notamment al adhan (appel du muezzin). Il faut dire que ce problème a été déjà posé ces trois dernières années, au point où les horaires de prière différaient d’une mosquée à l’autre et ce, dans la même ville. Le département de Ghlamallah avait mis fin à la polémique dans sa forme, mais dans le fond, le problème demeure posé, comme en témoigne l’anarchie omniprésente dans les lieux de culte.

De La zalabia “haram” à la corruption “halal”

Cependant, la plus invraisemblable des “sorties” de ce Ramadhan 2008 reste le duel à distance que se livrent Al-Khabar Al Ousboui et un certain cheikh Ferkous, considéré comme le numéro un du “salafisme scientifique” en Algérie. Dans un article publié dans le numéro 496 daté du 30 août au 6 septembre 2008 intitulé “Cheikh Ferkous youharim azalabia wa youhilou arachwa” (cheikh Ferkous déclare la zalabia illicite et la corruption licite), l’auteur n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour critiquer ouvertement le salafiste. En se référant aux fetwas du cheikh, celles publiées dans ses livres et celles mises en ligne sur son site personnel (d’ailleurs, combien de scientifiques algériens peuvent se targuer d’en avoir un ? Une illustration de la léthargie dans laquelle nage notre pseudo classe intellectuelle), le journaliste a pu dénicher des “perles” qui ont d’ailleurs soulevé d’interminables débats chez les lecteurs de l’hebdomadaire, et surtout dans plusieurs mosquées du pays. Même s’il faut avouer que l’argumentaire de l’article était “tiré par les cheveux”, il n’en reste pas moins que cette polémique a révélé l’importance de l’influence de cheikh Ferkous chez beaucoup de nos jeunes, à travers plusieurs régions du pays. Il suffit de faire un tour du côté des forums sur la toile pour s’en convaincre et voir ainsi la polémique que cet article a suscitée. Depuis, le site de Ferkous et l’hebdomadaire se font déjà une “guerre” dont les épisodes sont suivis par plus d’un.

En tout cas, la polémique sur la zalabia, qui n’existe qu’en raison du taux d’analphabétisme qui handicape encore la société algérienne, illustre amplement l’importance que prennent les fetwas en Algérie. Les quotidiens arabophones montrent déjà la tendance. Ainsi, depuis le début du Ramadhan, Al Khabar et El-Chourrouk ont chacun un “mufti”, respectivement l’habitué des plateaux de l’ENTV, cheikh Abou Abdessalam, et cheikh Chemseddine. Les deux répondent quotidiennement aux nombreuses questions que soulèvent les lecteurs.

Pourquoi les jeunes s’en remettent aux imams

Ces histoires de fetwas sont, sans aucun doute, la meilleure expression des changements en catimini opérés dans la société depuis plusieurs années déjà. Ainsi, beaucoup de jeunes ne prennent leurs décisions qu’après avoir eu le OK d’un imam. Qu’ils aient envie de se marier, d’acheter une voiture ou une maison à crédit, de travailler dans une banque ou encore de quitter le pays, ils recherchent à chaque fois une “bénédiction” auprès d’un imam de “confiance” ou doivent trouver une fetwa d’un “grand” cheikh. Pour avoir une idée sur l’étendue de l’influence des fetwas, il faut se pencher sur l’effet qu’ont eu dernièrement deux d’entre elles. La première, qui remonte à août 2007, est celle relative à l’allaitement des adultes, “promulguée” par un uléma égyptien, Izzat Al-Attiyah, ancien responsable du département d’études du hadith à l’université islamique d’Al-Azhar. Les remous et les controverses qu’elle avait suscités avaient ébranlé plus d’un. Un quotidien arabophone (Ech-Chourrouk), dans son édition du 2 septembre 2007, avait même écrit que des salafistes ont menacé de répudier leurs épouses si elles refusaient d’allaiter leurs invités pendant le Ramadhan. Une rocambolesque histoire qui n’avait même aucun fondement et qui dénotait surtout la déconnexion totale de ce cheikh Attiyah, non seulement du XXIe siècle, mais également de la lecture du hadith sur lequel il s’était basé. D’ailleurs, beaucoup de ses “confrères” l’ont dénoncé dans une tentative d’atténuer l’onde de choc de cette rocambolesque fetwa.

La seconde fetwa

Elle émane du très médiatique cheikh Al-Qaradaoui, président de l’Union mondiale des ulémas musulmans. Dans une réponse (publiée par le quotidien qatari Al-Arab aux interrogations de certains musulmans sur l’opportunité de consommer ou pas “des boissons énergétiques disponibles sur le marché”, le président de l’Union mondiale des ulémas musulmans avait estimé qu’“il n’est pas illicite de consommer des boissons contenant un petit taux d’alcool, obtenu naturellement par fermentation”, en référence à la fermentation alcoolique qui transforme le sucre en alcool. Il avait ajouté que “la présence d’alcool à un taux de cinq pour mille (0,5°/°°) n’est pas illicite, ce taux étant très faible, d’autant que cet alcool est naturel et non pas industriel. Ainsi, je ne vois pas de mal à consommer une telle boisson”. Des affirmations plus qu’étonnantes et qui avaient enclenché des débats très houleux dans le monde musulman et aussi chez nous. Que ce soit sur la toile (où les forums de discussions touchant à l’islam sont très nombreux), dans les bureaux, dans les halls des universités et même dans les foyers, la controverse a pris tellement d’ampleur que Al-Qaradaoui avait dû s’expliquer à plusieurs reprises, et sur différents médias, pour essayer d’en atténuer l’effet.

L’effet et l’impact de ces fetwas sont encore plus grands sur le net. Les Algériens sont très présents sur les forums dont le sujet principal demeure la religion. Cette situation, qui révèle l’infiltration de plus en plus profonde du champ social par les salafistes, pose la problématique de l’absence d’une campagne de sensibilisation des pouvoirs publics sur le terrain.

Salim Koudil

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