De la dérive moraliste du service public

Au commencement, il y eut le terrorisme multiforme. Il n’a pas été sans effet. Aujourd’hui, nous sommes tenus en diverses circonstances de montrer notre discipline religieuse, par les apparences ou par le verbe, quitte à faire semblant.

Il faut dire que nous sommes revenus d’une époque où fumer, placer une parabole sur son toit ou lire un journal étaient, par endroits, devenus des loisirs à risque. Cette prohibition, même localisée, préfigurait de l’ordre post-dictatorial. Nous sommes donc bien contents que, finalement, l’ordre actuel ne nous commande que l’observation des apparences liées au respect du dogme.

Les militants politiquement acquis à l’idéologie islamiste reçurent le renfort involontaire de ceux qui ont intériorisé, par la peur, l’obligation de faire montre de leur piété. Depuis quelques années, et devant l’engagement militant de l’État, la piété fait office de civisme.

À l’occasion de son jubilé, Megharia, un des héros de la plus belle page de l’histoire du football national, a fait les frais de cette évolution “activiste” des institutions. Interrogé par une animatrice de la chaîne “universelle”, Algerian TV, de la télévision d’État, Megharia raconte avec l’émouvante sincérité de ceux dont la carrière n’est due qu’à leurs seul talent et effort, le travail de galérien qu’il fallait abattre pour faire l’équipe des glorieuses années 1980 de notre football. “Trois séances d’entraînement par jour”, rapporte le dernier grand “stoppeur” de l’équipe nationale.

“Et pas question de jeûner quand il s’agit de préparer un match au mois de Ramadhan”, ajoute-t-il, toujours avec la sincérité de quelqu’un qui s’en tenait à la stricte narration de faits, sans forfanterie et sans fausse pudeur.

C’était compter sans la vigilance bigote de l’animatrice. “Et vous rattrapiez les jours (de jeûne) par la suite !” rectifia-t-elle. Voici notre héros transporté du statut d’ancienne étoile du football, sollicitée pour sa mémoire sportive, à celui d’un intervenant sommé de confirmer qu’un Algérien, ça doit respecter le jeûne, en tout temps et en tout lieu.

Pourtant, loin du candide joueur l’idée de provoquer l’intime conviction de quiconque ; il était juste guidé par le plaisir de partager le souvenir d’une expérience. Mais il n’était pas question qu’un message païen passât à travers la lucarne de l’ENTV, quitte à lui tendre la perche du “rattrapage”, au risque de le mettre dans la gêne ou de le faire mentir. L’un était au registre de la vérité, l’autre à celui de la norme !

“L’incident” illustre bien l’activisme ordinaire dont se sentent chargés des commis de l’État dont la mission n’a, par ailleurs, nulle vocation de contribuer à la moralisation religieuse de la société.
Bien sûr, la télévision se présente en vigile de nos convictions religieuses, mais il peut vous arriver d’être soumis au test de piété, dans n’importe quel couloir d’administration ou de service public.

Dans le rapport à un État, on est, selon l’ordre qu’on veut ériger, citoyen ou fidèle ; jamais les deux. L’État ne se rend pas compte qu’il est en train d’éradiquer sa raison d’être : en voulant monter une pure société de fidèles, il s’emploie à sacrifier la société de citoyens.

Mustapha Hammouche

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