LES DEUX FONT LA PAIRE

Entre Bouteflika et Ouyahia, la chimie de la complicité politique est une affaire de cycles. Selon le contexte, les deux personnages se retrouvent tantôt en phase, tantôt en total désaccord. Voilà pourquoi ils sont capables de cohabiter comme deux larrons à la tête de l’exécutif pour, ensuite, se convertir à la critique réciproque.

Encore que celle-ci ne s’est jamais exercée frontalement, se limitant à des bouderies et, au pire, à d’occasionnelles allusions. Sachant, l’un comme l’autre, qu’il ne faut jamais insulter l’avenir, ils ont également appris, l’un de l’autre, qu’ils sont à la fois deux produits du système et, pour les mêmes raisons, ses scénarios alternatifs. C’est ainsi que l’on peut s’essayer à comprendre les disgrâces temporaires d’un Ouyahia, chaque fois suivies curieusement par un retour à la lumière, tout autant, que l’on doit interpréter les historiques exhumations d’un Bouteflika.

L’une ayant échoué après sa défection lors de la conférence nationale de l’automne 1994 et la seconde aboutie après son accord et qui a déclenché un putsch de palais qui chassa Zeroual en septembre 1998. A des niveaux différents mais pour des objectifs complémentaires, les deux hommes sont à nouveau réunis afin que s’accomplisse, cette fois-ci, la future reconfiguration du pouvoir.

C’est dire que succéder au tâcheron Belkhadem ne signifie guère pour Ouyahia s’occuper exclusivement de la mise en ordre de l’intendance. Trop peu pour un challenger masqué qui sait qu’en termes économique et social, les jeux sont faits et les bilans d’une mandature déjà tirés. Aussi ne faut-il pas exclure de sa feuille de route d’autres missions que l’impossible management d’un gouvernement reconduit dans sa quasi-totalité. S’agira-t-il pour lui de s’impliquer dans la défense démagogique de l’amendement constitutionnel ? Probablement.

En tout cas, de tous les arguments avancés ce serait celui-ci qui aurait le plus pesé dans sa réhabilitation. A celui-ci, il faudra évidemment ajouter son indéniable entregent diplomatique afin de suppléer Bouteflika au niveau international avec un statut clair (chef du gouvernement) en conformité avec les us protocolaires.

Professionnel de la politique, tout comme son mentor auquel il lia sa carrière à partir de 1999 après avoir bénéficié de l’ascenseur de son prédécesseur, ce Ouyahia-là inspire bien plus la duplicité qu’il n’évoque un militant aux opinions tranchées et de convictions fortement éprouvées. Si, intellectuellement, il lui est arrivé de brocarder les dogmatismes de ses contradicteurs, il n’est, par contre, jamais parvenu à faire valoir positivement son prétendu pragmatisme. Car chaque fois qu’il se revendique d’une cause, il est rattrapé par un reniement.

Ne l’a-t-on pas entendu officiellement s’inscrire violemment contre toute solution négociée avec l’islamisme pour le surprendre, par la suite, faire pire que le conclave de Sant’Egidio en orchestrant la campagne du «oui» pour la loi amnistiante ? Par ailleurs, lui l’apologue de la presse indépendante quand il était conseiller de Zeroual (84-85), n’a-t- il pas déclenché une chasse aux sorcières contre les journalistes en juillet 2004 ?

Homme d’exécution en attendant de devenir un donneur d’ordre, il serait, dit-on, le dauphin qui assurera la continuité quand la succession se sera imposée d’elle-même ! A partir de ce double moment de grâce, quand après une nomination pleine d’énigmes il eut à célébrer une messe partisane réglée comme un congrès nord-coréen, les supputations sur la suzeraineté sourcilleuse de Bouteflika parlent déjà de son érosion.

On le dit contraint de nuancer ses rapports à l’avenir et de tempérer son inclination à être expéditif avec celui qui, cette fois-ci, ne serait plus dans une posture de vassal mais de leader en réserve de … Une spéculation sans fondement ? Peut-être, sauf qu’en l’état actuel des enjeux, Bouteflika a, plus qu’en 2004, besoin non seulement des traditionnels appareils pour passer en force, mais surtout des feux verts des parrains de l’ombre qui évaluent à une autre aune les ambitions et les «solutions » à administrer.

Pour l’avoir «pratiquée» jusqu’au mimétisme, Ouyahia à son tour ne se fait aucune illusion sur les excès d’effusions dont il ne manquera pas de bénéficier quand débuteront les grandes manœuvres. Ce Premier ministre requinqué par la déplorable image qu’a laissée son prédécesseur sait désormais comment il doit travailler avec lui et pour lui sans altérer sa propre image.

Ainsi tous les pactes secrets qu’il passera avec lui seront de l’ordre du marchandage afin qu’il ne subisse plus l’humiliation du placard au lendemain d’avril 2009. En effet, à l’inverse de ses «alliés» du FLN et du MSP, il est moins un organique satisfait de sa condition d’apparatchik qu’un féroce homme de pouvoir. Qu’il ait hérité d’un parti dont il a fait un pot-pourri peuplé d’opportunistes, qu’il mène d’ailleurs à la carotte, lui semble en deçà du destin qu’il se forge patiemment.

Lui, dont l’ascension vertigineuse est fortement marquée par la parenthèse zéroualiènne, s’efforce depuis dix ans de solder son passif avec cette période peu glorieuse dans le souvenir quand il accepta de démolir un RND, alors réfractaire aux hâtives allégeances, puis de l’offrir en dot au candidat Bouteflika. N’ayant rien d’un agitateur de concepts, ni d’animateur d’un courant de pensée, il ne pouvait se prévaloir que d’un seul talent : celui de débatteur retors.

Un jouteur de la politique capable de marquer des points et d’accéder à des sinécures de pouvoir. C’est, quelque part, pour cette raison que Bouteflika l’avait agrégé à son camp tant il lui ressemblait par son appétit de prédateur. L’un et l’autre s’entendirent si bien naguère qu’ils manipulèrent sans état d’âme des référendums et des élections ; qu’ils corrompirent politiquement une cause juste (la révolte de Kabylie) et instrumentalisèrent souvent la justice.

Puis le clash de mai 2006 vint mettre fin à cette «fusion» politique. Depuis, l’un comme l’autre s’abstinrent de commenter l’événement comme dans une sorte de poker menteur où le chef de l’Etat s’efforçait de le pousser à le critiquer afin de le disqualifier et le ministre d’observer le silence afin de ne pas brûler le vaisseau de sa carrière. Comme par ce passé récent, ils ne veulent pas aujourd’hui encore donner la moindre raison de ce rabibochage.

Mais à la différence de 2006, les attitudes ont tout à fait changé. Le mutisme du président est pathétique quand le prétorien du système, par son côté sombre et détestable, occupe tout l’espace médiatique. Poussant l’avantage jusqu’à s’ériger en conscience républicaine (1). Le «néo-ex» aurait-il déjà oublié qui l’a fait prince et quel deus ex machina le fera demain régent ?

Boubakeur Hamidechi

(1) Dans son discours au congrès du RND, il déclara ceci : «L’ennemi mortel (…) réside dans nos mentalités, il a pour noms : l’insouciance, la médiocrité et les égoïsmes individuels. »

Leave a Reply

You must be logged in to post a comment.

intelligence artiste judiciaire personne algériens pays nationale intelligence algérie artistes benchicou renseignement algérie carrefour harga chroniques économique chronique judiciaire économie intelligence chronique alimentaire production art liberté justes histoire citernes sommeil crise alimentaire carrefour économie culture monde temps
 
Fermer
E-mail It