Comme il a écrit lui

Kateb Yacine affirmait que la langue française était un « butin de guerre ». Mais il y avait toujours quelqu’un au fond de la salle pour dire que les écrivains algériens de langue française étaient suspects aux entournures, sinon en leur for intérieur.

Le monde de la culture barbotait dans la confusion entre francophonie et francophilie, sinon francomanie, entretenue par des professionnels de l’étiquetage. Butin pourtant puisqu’en 1954, seuls 12,75 % des enfants algériens avaient accès à l’école, en dépit d’un discours « civilisateur » et de la Loi scolaire de 1883. Les colons déclaraient à travers leurs Délégations financières : « Si la France entend intensifier l’instruction des indigènes, que deviendront nos fermes ?

Où irons-nous recruter la main-d’œuvre ? ». Les Communes, quant à elles, allaient plus loin : « Si l’instruction se généralisait, le cri unanime des indigènes serait : l’Algérie aux Arabes. » Ces informations ne sont pas tirées d’un document clandestin du FLN mais de l’ouvrage de Charles-Robert Ageron, « Histoire de l’Algérie contemporaine », reconnu comme une référence au moins sérieuse. C’est donc bien au prix d’un arrachement que les Algériens ont appris le français.

Mais voilà, l’anathème a perduré, au point de pousser la plupart des écrivains à vivre un exil moral, parfois jusqu’à l’auto-culpabilisation. Pour les en prémunir, on inventa la formule pathétique « écrivains de graphie française », comme si le français n’était pas de graphie latine ! Ces dernières années, les choses ont évolué plutôt positivement. Le poids des générations postindépendance se ressent : aucun complexe à l’égard de la langue arabe, étudiée tôt à l’école, peu d’a priori sur la langue française ou tout autre, pragmatiquement recherchées.

Lors du dernier hommage à Rachid Mimouni, l’écrivaine Zhor Ounissi, déclarait que « les œuvres littéraires algériennes d’expression française sont, dans la forme et le fond, d’une quintessence nationaliste et expriment fidèlement le vécu de l’Algérie profonde », et ajoutait qu’ils ont été « les meilleurs ambassadeurs de la culture algérienne à l’étranger ». Le mérite de clarté d’Ounissi, qui écrit en arabe pour ceux qui l’ignorent, reflète en fait le dépassement progressif des clivages linguistiques au sein de la société, toujours en avance sur les institutions.

Il ne faut pas cependant sombrer dans l’excès inverse et accorder des certificats de nationalisme ou de fidélité selon la langue. Chaque écrivain porte son propre univers et se trouve seul responsable de son jardin. Aujourd’hui, le butin est de pouvoir apprécier un auteur algérien, quelle que soit sa langue, selon ce qu’il écrit et comment il l’écrit. Tout le reste n’est que lecture.

Ameziane Ferhani

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