LES DÉCOMBRES SUR LA PLAGE

Tout l’hiver, la mer a roulé ses vagues, houle après houle et, sur la plage, les murs debout comme un rhumatisme de bâtisse béante ont hurlé, avec le vent, de toutes leurs fenêtres désossées. Les enfants n’y descendaient plus qu’aux moments des accalmies précaires quand un soleil timide soulignait le passage paresseux de nuages languissants.

Là, ils dansaient autour des barques aux peintures écaillées, squelettes abandonnés aux attaques humides du sel, face tournée au sable, allongées en blessures pudiques et vieillies avant que les marins ne viennent, au grand soleil revenu, leur raconter la vieille romance de leurs mains calleuses et de leurs meurtrissures à tirer cordes et filins, filets et poissons mêlés.

Sur les décombres, les enfants ont écrit ce qui leur passait par la tête ; il était plus sûr de confier à ce fantôme de pierres percluses par le sel l’évanescent de leurs pensées et de leurs premiers tourments, un ossuaire de l’espérance avant même qu’ils n’aient fini leurs premiers rêves face à cette eau grise, bleue, verte que survolent, parfois, les mouettes bruyantes dans un bref passage au-dessus de leurs têtes sonnantes.

Avant l’âge, ils y portent la foule et elles en bruissent d’une rumeur qui enfle comme une tumeur d’un coin de la plage à la pointe d’un rocher si petit qu’il en est invisible, jumeau de brumes qui leur enveloppent l’avenir que leur laissent entrevoir le dernier départ secret, le dernier voyage supputé, les dernières nouvelles du dernier qui a franchi l’immense obstacle d’eau mouvante et jamais apaisée de revenir sur la plage, jour après jour, heure après heure, minute après minute, comme si les noces de la mer et de la terre ne devaient jamais cesser de tempêter en jours de calme caniculaire.

Et leur témoin a si longtemps assisté à leurs ébats qu’il n’en reste plus que ces murs lépreux que le enfants ne savent plus comment les appeler, ne savent plus quelle histoire de corsaires ou de janissaires leur inventer, compensant par le tour rituel des formules, des phrases, des noms de filles que leurs aînés avaient inscrits avant de partir et avant que le grand soleil d’été ne vienne réchauffer les décombres, mettre les barques à la mer et suspendre dans la chaleur d’une saison les mélancolies des soirs humides.

MOHAMED BOUHAMIDI

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