Le marginal comme modèle

Rabie n’a jamais aimé perdre son temps. Il a tôt fait de comprendre que l’école ne l’amènerait nulle part. Jolie façon de justifier son propre échec scolaire. Il a commencé à sécher les cours mais pas pour ne rien faire. Il s’est mis à ramasser tous les bouts de fer, de cuivre, de rond à béton qui traînaient. Où les amassait-il ? Mystère. Il y mettait tant de cœur qu’il s’agissait, pour lui, d’un trésor et on ne jette pas son trésor n’importe où. Il a certainement trouvé un endroit sûr entre les broussailles qui entourent l’ancien corps de la ferme coloniale.
Puis Rabie a fait de ce ramassage un métier, un vrai ! Il gagné à exercer cette façon de regarder au sol en marchant. Non, il ne fuit pas votre regard, il travaille tout simplement, tout le temps. Avec le temps, Rabie a élargi son champ d’action. Il passait par tous les chantiers, toutes les décharges et un jour il a coupé le sifflet à tout le monde. De la forêt voisine, il a ramené le must de la ferraille : du cuivre. Rabie disparaissait des longues heures, des journées entières pour revenir avec des sacs lourds à vous couper les bras. Il se rendait régulièrement à la forêt et bientôt il passa pour un spécialiste, un expert des bois. Le terrorisme arrivé, il ne changea aucune de ses habitudes et quand le seul nom de cette forêt inspirait la terreur, il s’y rendait normalement. Rabie a acquis un sixième sens. A force de scruter le sol, il a appris à lire le passage ou la présence proche des animaux ou des hommes. Un jour, il m’a dit «normal, je sais qu’ils sont là-bas mais je ne vais pas où ils se trouvent». Personne évidemment ne sait à qui il vend sa ferraille. C’est déjà un monde à part, un monde parallèle dont on se demande comment il peut faire de l’argent avec ces rebuts. Rabie continue à ramasser. Aujourd’hui, il porte une courte barbe. Dans ce métier, on ne se rase pas ou si rarement. Pour tous, il passe pour un marginal, un vrai, un pur marginal dont on n’imagine pas qu’il prendra femme ou se conformera à la moindre norme sociale. Sauf qu’il ne vole pas. Enfant, il a commis quelques menus larcins mais y a très vite renoncé. Pourtant, ces vacances scolaires, celles-là, celles de cette année 2007, des écoliers se sont mis à courir les collines, les décharges, les chantiers, avec de grands sacs de farine récupérés chez le boulanger et ils ramassent tout ce qu’ils trouvent : plastique, jerrycans, ferraille, souliers éculés, bouts de chiffons. On se demande toujours ce qu’ils peuvent en faire, à quoi cela peut servir, on se demande toujours des tas de choses. Moi, je me demande par quels obscurs mécanismes Rabie est devenu un modèle professionnel. Pouvez-vous me le dire ?

MOHAMED BOUHAMIDI

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