La statue renversée

Spécialiste des grandes fresques historiques,le cinéaste soviétique Serguei Fiodorovitch Bondartchouk (1920-1994) est connu pour son monumental Guerre et paix, adapté du chef-d’œuvre de Léon Tolstoï et qui fut supérieur à la version américaine signée pourtant par King Vidor. Bondartchouk avait consacré sept années à réaliser son adaptation de Guerre et paix. Il était alors l’une des références du cinéma soviétique auquel il assurait un immense retentissement sur le plan international.

Sa connaissance de l’histoire le prédisposait à se tourner vers des thèmes majeurs qui pouvaient concerner d’autres publics que ceux de l’Union soviétique. En 1970, Bondartchouk obtient des moyens colossaux pour tourner Waterloo,dans lequel il dépeint l’ultime bataille livrée et perdue par Napoléon Bonaparte. Ce film, diffusé sur Arte, est un travail d’introspection de la personnalité d’un homme parvenu à la fin de son aventure personnelle.

A bien des égards, Bondartchouk ne peut pas s’empêcher de montrer son attachement à ce personnage qu’il ne décrit pas comme un conquérant fringant, mais comme un homme bouffi par la force de l’âge qui cherche à prendre la mesure de sa propre valeur. La bataille de Waterloo avait été la conséquence de Napoléon Bonaparte sur la scène européenne après son évasion de l’île d’Elbe où il avait été exilé, en 1814, par une coalition d’armées européennes qui avaient pris Paris.

C’est de son île que Napoléon Bonaparte parvient à s’échapper et à reprendre pied en France où il marche triomphalement sur la capitale. Un retour inacceptable pour les Anglais et les Autrichiens qui croyaient s’être débarrassés à tout jamais de celui qui avait mis l’Europe à feu et à sang. Un adversaire résolu va se dresser sur la route de Napoléon : c’est le duc de Wellington qui conduira l’armée anglaise dans cette ultime confrontation dont le sort se décidera à Waterloo.

C’est le duel à distance entre Napoléon Bonaparte et Wellington qui est au cœur du film de Bondartchouk. Le cinéaste a amplifié le contraste entre les deux personnages en choisissant des acteurs typés pour les incarner. Rod Steiger est un Napoléon Bonaparte empâté et à bout de souffle, alors que Christopher Plummer est un sémillant Wellington dont la légèreté n’est que de façade, car il sait que son ennemi est redoutable. On comprend que dans ce duel l’intérêt de Bondartchouk est plus fortement porté sur Napoléon Bonaparte qui, malgré l’usure, est un chef plein de panache et pour lequel la défaite n’est pas envisageable.

En fait, toute la scénarisation du Waterloo de Bondartchouk tend à minimiser le mérite personnel de Wellington dans l’issue de la bataille, car la victoire n’avait été possible que grâce à l’intervention in extremis des troupes alliées commandées par Blücher. Face au matamore Wellington, Bondartchouk peint une statue renversée, la fin d’une époque qui sucite des sentiments mitigés de soulagement et de regrets. Quel aurait été le visage du monde si Napoléon Bonaparte avait remporté la bataille de Waterloo ? C’est une question que pose implicitement le film de Bondartchouk qui enrichit la riche panoplie d’œuvres qui sont liés à cette période depuis les compositions de Beethoven jusqu’aux tableaux de Goya.

Les cinéastes avant et après Bondartchouk se sont penchés sur le cas Napoléon et les conséquences de son tempérament guerrier sur son époque, à l’image de Sacha Guitry, Abel Gance ou Ridley Scoot, alors que l’acteur américain Al Pacino est pressenti pour interpréter le rôle de Napoléon Bonaparte dans les mois prochains. Le Waterloo de Bondartchouk, avec sa profusion de moyens, sert aujourd’hui à comprendre une séquence de l’histoire, mais aussi à voir que le regard de l’artiste peut devenir subjectif.

Sans doute Bondartchouk a-t-il voulu mettre en exergue que derrière le guerrier féroce il y avait un cabotin qui se mettait en scène sur le théâtre des conflits qu’il provoquait. A Waterloo, Napoléon Bonaparte diminué, exténué, en bout de course, ne pouvait plus, seul contre tous, qu’évoluer sur un théâtre d’ombres : celui où se mêlent grandeur et décadence.

Amine Lotfi

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