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09 septembre 2008

« 51%, même à perte »

Ecrit dans : A fonds perdus

Un groupe d’universitaires et d’experts anime actuellement, tous les dimanches, des « soirées ramadanesques » à la fondation allemande Friedrich Ebert.

Ils sont une quinzaine à se retrouver autour d’une réflexion commune* qui paraîtra initialement sous forme de fascicules et ultérieurement (pourquoi pas ?) en recueil. Mustapha Mekidèche, vice-président du Conseil national économique et social, a ouvert le cycle avec une communication d’une actualité brûlante : «Le secteur des hydrocarbures (1958-2008) : problématiques, enjeux et stratégies».

Question sensible au regard d’une actualité souvent «biaisée pour un secteur complexe dont l’opinion a du mal à en identifier les éléments structurants». L’histoire de l’Algérie contemporaine peut être, malheureusement et à bien des égards, réduite à celle, «contrastée et chahutée», de son entreprise phase : Sonatrach. Elle a ceci de particulier qu’elle ne laisse personne indifférent. Normal : le secteur des hydrocarbures contribue au tiers du PIB national et assure plus des deux tiers des recettes budgétaires et la quasi-totalité des recettes en devises (97%).

Pour autant, cela ne fait pas de nous le centre du monde. Loin de là. L’offre algérienne actuelle et potentielle reste modeste, à la fois pour les hydrocarbures liquides qui disposent d’une rente de qualité exceptionnelle (sahara blend et condensats) et pour les hydrocarbures gazeux qu’elle commercialise sous forme de GNL et de gaz transporté par des gazoducs transcontinentaux (gazoducs Durrel vers l’Espagne et Enrico Mattei vers l’Italie). En termes de réserves, l’Algérie ne dispose que de :

- 1% des réserves mondiales de pétrole, soit le quinzième rang avec 9,2 milliards de baril,

- 2,5 % des réserves mondiales de gaz, soit 4 500 milliards de mètres cubes avec une durée de vie de 54,4 ans,

- 2,2 % de la production mondiale. Dans la mémoire collective, le tournant que constitue l’abolition du régime des concessions par une ordonnance du 12 avril 1971, laissant Sonatrach seule «attributaire possible des titres miniers» est étroitement associée à la personne du défunt président Houari Boumediène.

Après sa mort, tergiversations et incohérences vont se multiplier.

Plus récemment, la mise à jour institutionnelle et réglementaire a connu deux phases successives qui, faute de concierges, ont gagné toutes les chaumières :

- la nouvelle loi n° 05-07 relative aux hydrocarbures promulguée le 28 avril 2005 pour moderniser le système fiscal et attirer les investisseurs étrangers par une participation désormais majoritaire dans l’exploitation de la ressource. Qui de la controverse suscitée ou de l’évolution imprévisible de la scène énergétique mondiale a gelé la publication des instruments de mise en œuvre de la loi avant son amendement ?

- l’ordonnance n° 06-10 du 29 juillet 2006 modifiant et complétant la loi précédente n° 05-07 du 28 avril 2005 qui redonne à Sonatrach la majorité des parts dans toute exploitation pétrolière, dans le transport et le raffinage, ne laissant complètement ouvert à l’investissement étranger que la pétrochimie, le GNL et le GTL. Cette ordonnance contient également un article instituant une taxe sur les surprofits pour tenir compte de l’évolution des prix, y compris pour contrats signés sous l’empire de la loi 86-91. Loin de toute controverse, l’un des résultats les plus remarquables des réformes économiques engagées est que la dépense publique, y compris l’investissement public, est à l’avenir encadrée par une politique budgétaire stricte et l’alimentation d’un fonds de régulation des recettes budgétaires pétrolières qui abrite, à titre de précaution, les recettes supplémentaires obtenues au-delà d’un prix de référence. Par ce «stratagème», les déficits budgétaires qui apparaissent dans les lois des finances successives deviennent virtuels car les redressements s’opèrent systématiquement à partir des ressources du fonds de régulation. Cela explique en partie que de tous les grands pays exportateurs de gaz (Russie, Qatar, Iran), l’Algérie a le taux d’inflation le plus bas autour de 4% à 5%. Le nouveau cadre institutionnel en vigueur aujourd’hui résulte d’un «consensus solide construit difficilement», nous dit Mékidèche.

La difficulté de converger — dans la première version de la loi sur les hydrocarbures — vers la construction d’un consensus était due à deux raisons principales :

- le volontarisme nationalitaire avait placé le débat sur un terrain qui n’était pas le sien, avec des surenchères politiciennes elles-mêmes nourries par la rente ;

- le marché mondial était encore ambivalent et moins lisible qu’il ne l’est actuellement. Ainsi, pour le premier point, la valorisation efficace des hydrocarbures, pour un pays producteur, ne vaut en réalité que par les prix qui y sont pratiqués sur le marché international. Un pétrole qui se vendrait à bas prix ne serait pas plus utile ou plus profitable parce que la possession des parts est de 100% dans la production. A ce faible prix, une partie des besoins énergétiques du reste du monde aura été satisfaite, et donc d’une certaine façon financée à rentabilité faible pour l’exportateur. Le prix du baril est donc le facteur essentiel pour tout exportateur. «Mais il en existe un autre, presque d’une égale importance : la parité du dollar, monnaie dans laquelle sont commercialisés les hydrocarbures, par rapport aux autres monnaies, à l’euro notamment. Certes, tout semble indiquer que le prix du baril atteindra 150 dollars mais avec un euro qui vaudra 1,60 ou 1,70 dollar.

Ce qui alors a été donné d’une main, aura été retiré de l’autre.» «Pour le deuxième point, il faut rappeler que l’idée centrale qui avait justifié la version initiale de la loi sur les hydrocarbures était que le marché des hydrocarbures entrait dans une phase caractérisée par une concurrence accrue entre les pays producteurs. Dans un pareil contexte, il fallait mettre en place un nouveau dispositif institutionnel qui permettrait au pays de soutenir la concurrence par rapport aux nouvelles zones de prospection. Ce nouveau dispositif concéderait aux opérateurs étrangers une part plus grande dans l’accès à la ressource, d’autant que le territoire national demeurait largement sous exploré.

Or, il est apparu, entre temps, des mutations de la scène énergétique mondiale plus rapides et plus déterminantes : l’offre restait rigide alors que la demande, du fait surtout de la forte croissance des pays émergents comme l’Inde et la Chine, explosait littéralement. Cela induira très vite une augmentation forte et rapide du prix du baril de pétrole. En fait, c’est la structure elle-même de ce marché qui avait été bouleversée, puisque les conditions d’attractivité de l’investissement dans ce domaine ont complètement changé. Une évolution aussi importante des prix fait que les petits gisements eux-mêmes aux coûts d’extraction élevés deviennent rentables.

Dès lors, l’attractivité des investissements ne requiert plus la mise en œuvre de mécanismes incitatifs autres que ceux qui tiennent au marché lui-même. On n’a alors plus besoin — dans ces conditions du marché — de recourir à des incitations supplémentaires d’ordre institutionnel ouvrant davantage l’amont. C’est alors que les conditions de réalisation d’un consensus national autour de cette question étaient réunies. L’ordonnance n° 06-10 du 29 juillet 2006 qui a modifié, complété et précisé cette loi, n’a fait précisément que tenir compte de cette rapide évolution de la scène énergétique mondiale.

Dans le même ordre d’idées, l’obligation faite à la Sonatrach par la loi d’être majoritaire dans des activités comme le transport, et même le raffinage, se traduiront également par une rentabilité relative plus faible que pour l’amont. Le fait d’avoir un associé disposant d’une part plus importante se serait traduit par des charges moindres pour elle. Cela a aussi d’autres inconvénients car être majoritaire systématiquement, en termes de participation dans la recherche et la production, veut dire aussi supporter une part plus grande de charges quand, au final, aucune découverte rentable n’est faite car dans la recherche les taux de réussite sont loin d’être de 100%. «Qu’importe, semble nous dicter notre dogmatisme, nous tenons à nos 51%, même à perte.»

Ammar Belhimer

(*) L’approfondissement des thèses de cette communication en rapport avec le reste de l’économie algérienne est le thème d’un livre, du même auteur, à paraître en novembre 2008 aux Editions Dahlab sous le titre L’Economie algérienne à la croisée des chemins : repères actuels et éléments prospectifs. La réflexion est la première d’une série de questionnements autour de «L’Algérie de demain : relever les défis pour gagner l’avenir», sous la coordination du professeur Abdelmadjid Bouzidi, notre confrère du mercredi. Les toutes prochaines conférences porteront sur les politiques agricoles, la dépendance et la sécurité alimentaire (Mourad Boukella), l’emploi, le chômage, les salaires et la productivité du travail (Bachir Boulahbal), le pluralisme politique, syndical et associatif (Ammar Belhimer), les médias et la communication (Abdou B.).


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