Qu'est-ce que c'est ? A partir de cette page vous pouvez proposer le billet « STRATÉGIE INDUSTRIELLE : La Corée du Sud : un modèle pour l’Algérie ? » sur différents sites grâce aux liens de la partie Social Web afin qu'il y soit sauvegardé et partagé, ou vous pouvez utiliser le formulaire E-mail pour envoyer un lien par email.

Social Web

E-mail

E-mail It
09 juillet 2008

STRATÉGIE INDUSTRIELLE : La Corée du Sud : un modèle pour l’Algérie ?

Ecrit dans : Décodages

Aucun économiste, aucun observateur averti du monde de l’économie, aucun journaliste spécialisé ne conteste le succès du modèle industriel de la Corée du Sud. Pour ceux qui l’ignorent, à sa mise en application, ce modèle était, à une nuance près, identique au modèle d’industrialisation de l’Algérie des années 1970.

Jugeons-en.

Le professeur d’économie sud-coréen, enseignant à la Kyungnam University et consultant au Kyungnam Industrial Consulting Co, M. Ick Jin Seo propose une analyse détaillée et fouillée de l’industrialisation de la Corée du Sud dans son ouvrage La Corée du Sud : une analyse historique du processus de développement, L’Harmattan, 2000. Au moment du lancement de sa stratégie d’industrialisation, la Corée du Sud n’avait pas de secteur productif (biens intermédiaires, biens d’équipement, machines…). Elle n’avait pas non plus de produits nationaux ni de matières premières exportables. Il fallait donc importer l’ensemble des biens de production nécessaires à l’industrialisation jusqu’à l’installation d’un système productif national relativement autonome. Le financement de ces importations se faisait par le recours à l’emprunt extérieur.

Notons déjà à ce niveau que la Corée du Sud, comme l’Algérie des années 1970, refusait le recours aux IDE et voulait éviter «la domination étrangère sur l’appareil de production national». La dette extérieure a bien évidemment explosé. Pour y faire fasse, la Corée du Sud a choisi dès le départ d’exporter la plus grande partie possible de ses produits nationaux fabriqués à partir des biens d’équipements importés (contrairement à l’Algérie qui cherchait d’abord à développer son marché intérieur, démarche rendue possible par les possibilités de financement qui offraient l’exportation des hydrocarbures).

Le contrôle du commerce extérieur

Les importations étaient sévèrement contrôlées et orientées principalement sur les biens d’équipements et les biens intermédiaires. La gestion des devises était sous monopole de l’Etat et centralisée (même démarche en Algérie). Les autorités financières sud-coréennes combinaient surévaluation de la monnaie nationale (pour diminuer le coût des importations pour les entreprises) et subventions aux exportateurs qui bénéficiaient ainsi d’un dumping qui leur permettait de compenser les pertes subies (ils vendaient à l’extérieur à des prix qui ne couvraient même pas leurs coûts de production). De plus, la surévaluation de la monnaie sudcoréenne, qui renchérissait les exportations pour les acheteurs, devait être compensée par l’Etat pour les exportateurs afin de ne pas les décourager.

Une politique d’épargne forcée

Pour un même produit, le prix intérieur était beaucoup plus élevé que le prix à l’exportation. Une consommation réprimée favorisait ainsi l’épargne et la Corée du Sud était le pays dont le taux d’épargne national était le plus élevé au monde. L’offre domestique de produits était réduite d’autant qu’on devait exporter. Les ressources étaient canalisées vers un système bancaire public centralisé.

Une planification centralisée de type soviétique

La Corée du Sud a eu cinq plans quinquennaux durant la période d’industrialisation (1962-1987) (l’Algérie deux quadriennaux et un quinquennal de 1970 à 1984 avec une pause de 2 ans, 1978 et 1979). Le schéma d’industrialisation sud-coréen a été le fait de grands groupes industriels étatiques mais aussi privés mais sous contrôle du plan. Il a commencé par les industries légères (les années 1960) pour substituer la production nationale aux importations mais surtout pour avoir des produits à exporter. Durant les années 1970, lancement des industries de biens intermédiaires et chimiques. Durant les années 1980, lancement des industries d’équipements (machines) et des composants et pièces. On retrouve ici le schéma de l’industrialisation par substitution d’importation mais combiné à un modèle exportateur. Comme en Algérie, les liaisons industriesagriculture et intra-industrielles ont été une préoccupation centrale des planificateurs sud-coréens (noircissement de la matrice inter-industrielle et liaison agriculture-industrie en Algérie notamment la Sonacome).

Durant tout le processus d’industrialisation, la Corée du Sud a donné la priorité à l’innovation technologique basée sur l’apprentissage (le même processus commençait à se développer en Algérie à la fin des années 1970 !) Bien évidemment, la Corée du Sud, disposant d’une main-d’œuvre abondante, a commencé par une croissance extensive (capital importé et main-d’œuvre locale bon marché et nombreuse) puis a intensifié son processus de croissance par les améliorations de productivité.

Les conditions qui ont permis au modèle d’être efficace

Au plan interne Un Etat fort, possédant un projet, un «Etat développementiste». «En Corée du Sud on surnomme le régime dictatorial militaire par les termes de dictature de développement» écrit J. Seo qui ajoute «un Etat fort signifie un Etat capable de soumettre le capital à sa volonté et sa planification. L’Etat doit aussi être capable d’oppresser la résistance du peuple qui souffre de l’absence des droits de l’homme, et du droit au travail, accepte les bas salaires, la non-existence de la Sécurité sociale».

Le régime militaire de Park a institué la planification centrale, la non-autonomie de la Banque centrale qui est soumise au ministre des Finances. Le ministre du Plan (Economic Planning Bord, EPB) est vice-Premier ministre. Les banques commerciales sont nationalisées. Ce sont des agences qui distribuent les fonds selon les orientations du Plan. Les devises sont gérées centralement par l’Etat. Il faut rappeler qu’après la guerre civile (1950-53), une armée nationale surdéveloppée organise un coup d’Etat en 1960 et assoie sa légitimité sur la défense nationale (défendre le pays) et le développement économique.

Les conditions externes qui ont rendu possible le succès du modèle

La Corée du Sud, de par sa position géostratégique particulière, a grandement bénéficié de la guerre froide. Une alliance triangulaire Japon-Corée du Sud-USA s’est installée et la Corée du Sud a bénéficié d’une très grande aide économique de ses deux alliés. Les USA ont beaucoup aidé financièrement la Corée durant les débuts de son industrialisation (les années 1950 et début 1960). Les marchés américains étaient ouverts aux produits sud-coréens. La Corée du Sud a bénéficié d’autre part de «crédits d’urgence» (crise de la dette) et du soutien des USA sur les marchés financiers internationaux.

De son côté, le Japon a fourni, dans des conditions très favorables, les biens de production et les technologies nécessaires à l’industrialisation. Enfin USA et Japon ont toléré et même soutenu l’autoritarisme du régime sud-coréen. La Corée du Sud est aujourd’hui un grand pays industriel, technologiquement avancé et faisant partie du groupe des économies fondées sur la connaissance.
Pourquoi la démarche qui a donné ces résultats en Corée du Sud a-t-elle échoué en Algérie ? Sans vouloir donner une explication exhaustive, nous pouvons rappeler trois causes de l’échec algérien :

1/ L’étau de la dette extérieure qui a explosé à la fin des années 1970 et qui a rendu la poursuite du programme d’industrialisation particulièrement difficile.

2/ Le changement de cap opéré au début des années 1980 qui a abandonné le modèle des années 1970 en l’absence d’une nouvelle vision et d’un nouveau projet.

3/ Le contre-choc pétrolier de la seconde moitié des années 1980 qui a exacerbé la crise du modèle et poussé au rééchelonnement et à l’ajustement structurel.

Peut-on aujourd’hui revenir en Algérie à une démarche industrielle du type Corée du Sud ? Les économistes sud-coréens eux-mêmes nous rappellent que les conditions ont changé. Deux conditions au moins ne peuvent plus être réunies :

1/ La dictature de développement est aujourd’hui inadmissible tant au plan interne qu’au plan externe et les processus de démocratisation qui touchent aujourd’hui l’ensemble des pays, même à des échelles différentes, empêchent l’instauration d’un Etat autoritariste sinon totalitaire.

2/ La mondialisation de l’économie, l’internationalisation des firmes, la compétitivité à l’échelle mondiale dans un contexte marqué par l’ouverture, la déprotection, le libre échange ne permettent plus de revenir aux modèles d’industrialisation du type de ceux qu’ont connu la Corée du Sud ou la Malaisie.

Nous écrivions déjà la semaine passée citant les prix Nobel d’économie Spence et Solow : «S’il existait une doctrine unique de croissance valable partout, nous l’aurions découverte. »
Pour l’Algérie, et sans faire table rase de l’expérience accumulée, il s’agit de penser une nouvelle démarche fondée sur le savoir, la connaissance, l’attractivité, l’insertion dans les chaînes de valeurs internationales. Notre nouvelle stratégie industrielle en gestation depuis près de deux ans a besoin encore d’être débattue pour éviter de répéter les erreurs.

Abdelmadjid Bouzidi


Retourner à : STRATÉGIE INDUSTRIELLE : La Corée du Sud : un modèle pour l’Algérie ?