Kabylie, ou l’inertie agissante
Avec un wali à la compétence avérée et doté d’une grande capacité d’écoute, une chambre de commerce et d’industrie au dynamisme que lui envieraient des chambres similaires les plus performantes et surtout un «fonds monétaire» dormant qui ferait pâlir de jalousie les grandes places boursières de ce monde, la Kabylie, plus précisément la région de Tizi Ouzou, est pourvue de tous les atouts pour être arborée en modèle de développement.
Il n’en est rien, et contrairement autant à cette image potentielle de richesse que d’une aura usurpée d’espace opulent, industrialisé et moderne, la Kabylie est beaucoup plus pauvre que ne laisse penser la foison de personnalités aisées qui en sont originaires ou les innombrables villas cossues qui parsèment les monticules, mais construites par l’argent des émigrés après des décennies de privation dans les foyers Sonacotra.
La triste réalité est que la Kabylie est pauvre, le chômage y est endémique, les ressources naturelles inexistantes (même la bonne vieille figue a disparu et l’olive est sur la même voie d’espèce en voie d’extinction) mais, grâce à Dieu, la capacité de nuisance revendicative est intacte et le déni identitaire reste toujours à portée de parole pour donner au monde une impression de grand dynamisme.
La transition est toute trouvée pour rappeler que la désertion des promoteurs et investisseurs de la région trouve sa raison principale dans les événements de Kabylie du début de cette décennie et autant les saccages matériels que les dégâts moraux n’ont pas fini de livrer leurs séquelles, inscrites dans une durée que ne rétrécit décidément pas la satisfaction de la fameuse plateforme d’El Kseur, à ce jour «scellée et non négociable», même après son total oubli.
Les forces d’inertie sont multiples et sévissent dans des îlots aussi divers que la frange corrompue de la bureaucratie ou les cellules partisanes nourrissant les rivalités politiciennes à travers les vetos des élus. Et quand des hommes de la trempe de Rebrab, dont la réputation n’est plus à faire en qualité d’un des socles de l’économie nationale, lancent des projets dans leur région natale, on les remercie par des bâtons dans les roues, comme à Agouni Gueghrane (Lalla Khadidja), à titre d’exemple.
De nombreux investisseurs se sont retirés sur la pointe des pieds pour aller implanter leurs projets dans des régions plus clémentes, et cette délocalisation n’est assurément pas pour atténuer le sérieux problème d’emploi qui sévit dans les grands centres urbains comme dans les villages, à cause d’un développement local qui au mieux boitille, au pire est totalement inexistant.
Il est vrai que des raisons objectives se greffent sur ces épouvantails d’ordre subjectif, et l’épineux problème d’assiette foncière, mais aussi de gestion du peu de terrains qui existent dans ce créneau sont un facteur qui s’ajoute au faisceau d’obstacles sur le placement de la Kabylie sur la rampe de lancement du décollage économique.
En termes de matière grise et d’esprit d’initiative, la Kabylie est loin d’être en pénurie de potentiel, mais quant à le faire fructifier localement, il y a un pas que les forces de détournement, dans les deux sens du terme, empêchent de franchir. En s’en allant, heureusement pas trop loin mais dans des régions voisines de la même Algérie, faire fructifier leur potentiel matériel et mental d’investissement, les investisseurs de la Kabylie donnent tout son sens, mais à rebours, à l’adage populaire «le pain de la maison est mangé par l’étranger».
A ceci près que ce n’est pas un proverbe kabyle…
Nadjib Stambouli