Dissonances
L’interview qu’a accordée la semaine dernière au journal El Khabar le comédien Mustapha Himoun, plus connu sous le sobriquet Mustapha ghir hak, a de quoi choquer.
Ce dernier, pour expliquer son absence du petit écran pendant le mois de Ramadhan, au même titre d’ailleurs que bien d’autres comédiens aussi talentueux que lui, nous informe en effet qu’il a été frappé d’interdit à la télévision par la plus haute autorité du pays.
Lui qui a réussi à se faire apprécier par tant d’admirateurs et qui nourrissait secrètement l’espoir de voir s’ouvrir à lui une prometteuse carrière d’auteur a senti le ciel lui tomber sur la tête en apprenant qu’il est tout simplement devenu persona non grata.
Il faut savoir que Mustapha s’était mis d’accord avec le grand boss de l’Unique pour présenter un feuilleton d’une vingtaine d’épisodes programmé normalement dans la grille Ramadhan 2007. Il devait, à mi-chemin de son projet qui avait bien avancé, faire le point avec HHC et discuter de la partie restante à réaliser.
Mais, à sa grande surprise, et après toutes les difficultés du monde à pouvoir joindre le puissant DG, il est avisé que son travail est catégoriquement rejeté, la direction de la télé n’y étant pour rien dans ce refus, lui a-t-on signifié. Cette décision aurait été prise, tenez-vous bien, par le président Bouteflika en personne, selon les propres dires du patron de la télévision nationale qui visiblement ne voulait pas trop s’étaler sur la question.
Ainsi, si on comprend bien le sens des propos tenus dans l’interview, Mustapha, par sa façon d’interpréter, de jouer, aurait terriblement déplu au premier magistrat du pays et par conséquent ne pouvait échapper à une représaille présidentielle qui certainement fera date dans le annales de la censure télévisuelle.
On aura beau retourner dans tous les sens cette tuile qui vient ajouter au discrédit d’une chaîne déja mise à mal par le flot des critiques qui s’abattent quotidiennement sur elle, on a du mal en effet à imaginer un président de la République s’investir dans le règlement des imperfections qui peuvent se poser à la production artistique, et donc accorder une importance à une telle futilité, alors que son esprit est accaparé par la multitude de problèmes autrement plus sérieux et plus urgents que connaît le pays.
Sinon, pourquoi HHC aurait-il pris le risque de rendre public ce desiderata présidentiel s’il l’avait lui-même inventé juste pour se débarrasser d’un auteur devenu encombrant ? Reste la sortie classique, quand les choses se gâtent, de recourir prestement au démenti officiel se basant sur la fameuse formule des “propos déformés ou extirpés de leur contexte”.
Mais là aussi l’absence de réaction pousse notre saltimbanque à se convaincre que cette histoire est tout sauf une plaisanterie. La preuve, il ne tourne plus, il est en quarantaine. Il a en tous cas perdu l’envie de faire rire, se disant que la pire des sanctions qui peut atteindre un artiste est d’être un jour méprisé de la sorte, rejeté comme un fou du roi…
Le plus drôle, c’est qu’après tous les sketches à succès que le public a aimés et qui lui ont permis de se forger une personnalité artistique aussi modeste soit-elle, on s’aperçoit maintenant que son jeu est… vulgaire, car c’est la raison principale qu’on a avancé, selon lui, pour l’écarter de la scène et de la télé.
S’il n’est sûrement pas un monument de la comédie, Mustapha pense en revanche qu’il a sa place dans le back-ground du comique algérien, mais de là à le considérer comme un acteur qui fait dans le grostesque reste pour lui une grave offense qui touche à sa dignité.
C’est donc un comédien plein d’amertume qu’on a retrouvé dans l’interview, qui s’est exprimé sans complaisance sur certaines dissonances qui donnent de la télé une image d’une boîte de plus en plus fermée sur elle-même et livrée à plusieurs centres de décisions dans laquelle l’artiste ne trouve pas son compte sauf s’il pense à l’alimentaire.
Pour Mustapha, d’autres artistes, à leur grand dam et après avoir tant donné au public qui les adore, se sont retrouvés à la même enseigne que lui. Il cite, entre autres, Biyouna et Salah Agrout, marginalisés eux aussi parce que leur jeu ne correspond plus à la vision ou à la perception du divertissement télé telles que conçues dans la tête de certains décideurs.
Faut-il désormais faire passer l’avis de ces derniers avant celui du public ? Ce serait une pression supplémentaire ajoutée au verrouillage d’une boîte déjà en grippe avec le problème de la langue qui a retréci considérablement — au lieu de les élargir — les horizons qualitatifs de la production nationale.
En forçant les comédiens (une commission spéciale existe pour cela) à parler de manière « savante », autrement dit l’arabe classique dans des films ou téléfilms dans lesquels c’est le quotidien des Algériens qui est rapporté avec sa tonalité, sa musique, ses accents, son ambiance, on assure sans coup férir la médiocrité du produit.
Mais ce résultat ne semble pas déranger les… décideurs de tous bords qui préfèrent sacrifier l’esthétique d’un film pour la survie d’une langue qui en réalité n’a jamais été mise en danger de mort. Agoumi a eu cette juste réplique en disant que si le parler de tous les jours des Algériens est banni à la télé, c’est parce que nos gouvernants ont peur de la langue du peuple.
Biyouna a elle aussi fustigé le fait que la lélévision nationale impose aux comédiens de s’exprimer en arabe classique au risque de se voir écarter. Pourquoi donc les Marocains et les Tunisiens, pour ne prendre que l’exemple de nos voisins, ont-ils réussi à produire pour la télévision en restant attachés au parler populaire, alors que chez nous on est obligé de faire l’impossible pour se faire comprendre ?
Calcul idéologique ? Résultat des courses, toutes les réalisations, notamment les feuilletons, souffrent de l’incohérence des dialogues qui, ajoutée à la faiblesse criante du jeu des comédiens, rendent insipide le produit. Il n’y a qu’à voir comment se déroule Layali el beida (Nuits blanches) pour s’en convaincre.
A. Merad