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01 avril 2007

Être ou ne pas être

Ecrit dans : Contrechamp

Après une nuit de Mouloud, on constate que juguler l’importation de produits prohibés et assurer la quiétude de la cité sont à l’évidence au-dessus des moyens de l’État. Il fait alors semblant de s’en accommoder. Et se soumettre à la loi du nombre, il soumet l’individu à la loi de la foule.

Conscients de leur minorité et de leur impuissance, les Algériens indisposés par la dérive morale résistent en réduisant leurs contacts avec leur société et en s’inventant des lieux et des rythmes quasi communautaires. Ceux qui, par leur fonction officielle, ont la responsabilité de l’ordre public et de l’écologie civique adoptent la même attitude de fuite en avant. Vous les verrez traverser les grandes artères, les beaux — mais souvent insalubres — quartiers, dans leurs carrosses, vitres montées ; ils fuient des comportements qu’ils ne veulent ni subir ni affronter. Pour les nécessaires rapports sociaux ou professionnels, il y a des intermédiaires payés par le budget.

En s’en tenant à la seule quantité de pétards usés en une nuit, on peut déduire que le reste, cette foule immense qui se gausse de détonations à n’en pas finir, est largement majoritaire. Mais qu’est-ce qui fait que des enfants et des adolescents, et beaucoup de leurs parents, trouvent jouissance à pétarader à longueur de journée et de nuitée et, de quartier en quartier, importuner la ville entière ? Une fête faite d’agression sonore peut-elle prétendre à célébrer le culte d’une sainte naissance ?

C’est que justement l’Algérien, communautairement embrigadé, utilisé comme moyen d’agression contre la liberté individuelle, puis délaissé par ses élites et ses responsables, cultive un immense besoin de reconnaissance. Et toutes les occasions sont bonnes pour l’exprimer. L’idéologie ambiante, insidieusement métamorphosée en système de règles de conduite de tous les jours, l’a uniformisé dans sa tenue, son langage et sa violence. Il méprise la rationalité de la conduite et les règles de civisme positif, vulgairement dépourvues de pieuses références ! Mais en même temps, il vit si mal ce statut réducteur qui le condamne à exister en être conforme, réglé par les seuls rituels : on n’existe que par sa différence et par la reconnaissance de l’autre. Dépouillé de son individualité propre, il n’a alors d’autres moyens que la gêne qu’il procure à l’autre pour communiquer. Il vous barre la route et attend que vous lui demandiez pardon pour s’effacer en s’excusant d’une obstruction à l’origine volontaire. Il parle haut pour que vous réclamiez un peu de silence.

Dans la circulation et sur les lieux publics, il n’y a plus que gênes et excuses. Les lieux de sociabilité, il n’y en a plus que pour les insolences immédiatement suivies de politesses. Le tout est codifié : vous sollicitez la courtoisie qu’on vient de vous refuser et vous en avez pour votre grade de courtoisie ; vous vous révoltez de l’insolence et vous récoltez un surplus d’agressivité. Et ce que vous leur reprochez devient “normal” : l’expression est désormais consacrée dans le langage commun et suffit, seule, dans la bouche de nos concitoyens à légitimer toute attitude ou situation qui viendrait à vous offusquer. Elle le dispense de se justifier.

Le Mouloud constitue, à l’évidence, un moment de collective thérapie existentialiste.

Mustapha Hammouche


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