Alger, filleule de la mer
Ecrit dans : Ici mieux que là -bas
Ce n’est pas de regarder la mer à partir d’Alger qui montre la fusion de l’une et de l’autre. Il faut arriver par la mer vers Alger pour réaliser à quel point la ville est un don de la Méditerranée comme l’Egypte l’est du Nil. Qu’une politique inspirée d’une mentalité steppique soit arrivée à faire tourner le dos de la baigneuse à son bain est visible comme un bateau en rade.
On a du mal à croire, en effet, qu’en contrebas de l’amphithéâtre sur les flancs duquel la ville s’est dressée comme un plongeur figé dans son élan, une des plus belles baies du monde dessine sa courbe gracieuse aux deux extrémités de laquelle, à l’époque romaine, deux villes jumelles, Icosium et Rusgunia (Tamentefoust), se regardaient à travers le golfe. Alger doit tout à la mer, qu’elle boude de sa moue terreuse. Elle lui doit tout, jusqu’à son nom, voire à ses noms. Ikosim, comptoir phénicien, devient Icosium, municipe romain sous Juba II.
La légende, consignée par Cauïs Julius Solinus, né à Rome vers 320 de J.C., veut que la cité ait été bâtie par des compagnons d’Hercule. Ce dernier se rendait à l’accomplissement de l’un de ses travaux légendaires lorsque vingt de ses amis ont décidé de l’abandonner et d’élever des murailles. Il a fallu donner un nom. Aucun des vingt pionniers n’est parvenu à imposer le sien. Alors, on en forma un avec le nombre de ses fondateurs. Icosion, latinisé en Icosium, dérive de la racine grecque E’Ikosi, qui veut dire vingt. Autre explication possible pour Icosium, en rapport direct avec la mer : il n’est pas impossible que vingt soit le nombre de rochers qui protégeaient le mouillage.
Lorsqu’il bâtit la ville en 960 sur les ruines d’Icosium, le Berbère Bologhine ibn Ziri, fondateur de la dynastie des Zirides, la baptisa Djazaïr Beni Mezranna. Djazaïr vient, sans doute, des quatre îles, dont la principale était désignée par le nom de Stofla, face au port, rattachées à la terre ferme par la digue construite par le raïs Kheir-Eddine Barberousse qui a fait auparavant détruire, le 21 mai 1529, le Penon, cette fortification espagnole édifiée en 1511 et qui tenait la ville en joue. El Djazaïr, les îles en arabe ? C’est entendu. Une autre explication, très peu examinée par nos historiens officiels, soutient que Djazaïr viendrait de D’ziri, de Tiziri (clair de lune). Ce nom aurait été donné en l’honneur du père de Bologhine, Ziri ibn Menad.
Quant à Mezranna, il serait, dans cette hypothèse, une forme arabisée de Imezren dont la parenté avec Imazighen saute à l’ouïe. Cela donnerait la forme suivante : Tiziri n’at Imezran, Ziri des Berbères. Le fait est qu’en arabe la ville et le pays portent le même nom : Djazaïr, pour la capitale, Djazaïr pour le pays ! Si cette confusion n’existe pas en Français, une syllabe décisive distinguant l’une de l’autre, l’appellation Algérie provient tout de même d’Alger, laquelle appellation vient elle-même du catalan Alguère, lui-même tiré de Djazaïr que les Européens désignent par Argel en espagnol, Algieri en italien, Algiers par les Anglais et les Hollandais, Algier en allemand.
Sur les cartes du XIIIe siècle, on rencontre Alguer, Algezira, Aldjezira. Toutes ces variations renvoient à El Djazaïr. L’appellation Algérie elle-même proviendrait de la mer puisque elle est liée au nom de la ville, Alger. Lorsque les Français débarquèrent pour occuper le pays, ils le désignèrent officiellement par «Régence d’Alger» puis l’ordonnance du 22 juillet 1834 le fixe comme «Possessions françaises dans le nord de l’Afrique». Le nom Algérie apparaît pour la première fois dans l’ordonnance adoptée le 14 octobre 1839 par Antoine Virgile Schneider, ministre de la Guerre.
«Il n’est pas sans intérêt, mentionne l’historien Eugène Guernier, de noter que cette appellation consacrait la conquête arabe et on peut se demander pourquoi les hommes politiques français du moment, tenant mieux compte du passé, n’ont pas adopté les noms de Numidie, de Kabylie ou de Maurétanie.» Cette interrogation parmi d’autres vient conforter la négation des thèses néo-baathistes selon lesquelles la France coloniale aurait favorisé les Berbères lors même qu’elle a tout fait pour les «arabiser». Mais revenons à Alger. La mer, qui a passé à la cité ce collier d’algues et d’écume qui la rend à nulle autre pareille, semble s’être retirée dans ses appartements du large.
La ville reste alors dubitative sur la grève, songeuse aux temps où les vagues disaient le vent du large portant le message des antipodes pour ouvrir la citadelle. Celle de l’espace et celle du temps, c’est-à -dire de l’histoire ! Le chaland qui se balade à travers les venelles soucieuses de la ville trahie peut difficilement imaginer que le face-à -face de la cité chaulée de blanc avec l’azur bleu est si ancien, depuis le XIIIe siècle avant Jésus-Christ, que la mer et la ville ont fini par avoir l’une pour l’autre cette connivence un peu désabusée de ces vieux couples qui ont tout vu et qui, pourtant, savent encore être émerveillés l’un par l’autre.
Arezki Metref
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