Le murmure étouffé de nos blessures
Ecrit dans : Bazooka
Voilà ! Vous écrivez une chronique et les réactions de quelques lecteurs vous entraînent vers les solitudes d’une rêverie douloureuse. Ainsi, ils partagent cette impression que par touches successives, d’abandons subtils aux oublis massifs, des discours faussement flamboyants aux inconséquences pratiques et répétées, du slogan de circonstance aux renoncements permanents dans la défense de notre identité nationale, le pouvoir laisse filer ce qui nous a menés à l’indépendance : la rencontre de la longue et tenace résistance populaire avec les partis du mouvement national ; la «folie» des militants qui ont initié la lutte armée ; l’entrée en masse de notre peuple dans cette guerre de libération ; le courage de nos mères et de nos sœurs qui ont affronté, elles et en face, les territoriaux, le contingent, les paras et les légionnaires ; de nos aînés qui ont pris les chemins souterrains de la guérilla urbaine ou ceux lumineux des maquis avec la certitude d’y mourir ou de n’en réchapper que par miracle et arrachaient leurs armes des mains de l’ennemi ; de nos pères qui ont, dans les centres de tri, tenu entre leurs mains leurs frères torturés et, dans les camps ont fait face au temps si long de l’isolement carcéral.
Rien de la part du pouvoir face à la campagne voulant faire de Camus un repère de l’identité algérienne. Mieux, il invite Jean Daniel pour nous en convaincre. Rien contre cette idée qui se généralise que nous étions si bien sous l’autorité coloniale. Rien contre cette montée de la propagande que notre conduite au combat a été cruelle et inhumaine.
Rien ! Et alors comme les lecteurs qui ont réagi, j’ai le sentiment que cette passivité exprime une attitude de fond du pouvoir : pourquoi nous rappeler que cette lutte si dure et si féroce a été portée par tout notre peuple et non par quelques hommes miracles. Que l’indépendance est le fruit de nos sacrifices pas le résultat de quelques héros mythiques.
C’est vrai que pour faire main basse sur un pays, il vaut mieux renvoyer dans la nuit de l’oubli ceux qui l’ont libéré. Pour cela, le pouvoir possède la ruse, la force et l’argent. Nous, nous possédons la mémoire et ce murmure étouffé de nos blessures qui nous dit si bas : ils ont l’Etat, que l’Etat ; pas le pays ! Vous, vous avez le pays.
MOHAMED BOUHAMIDI
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