DES WILAYAS POUR 100 DOUARS ET UNE MESSE À PARIS
Ecrit dans : Lettre de province
La perplexité. Quel autre vocable pourrait mieux qualifier l’embarras général ? Aussi bien du côté de la presse que chez les acteurs de la scène politique n’est-on pas de plus en plus dubitatif quant à la tournure prise par l’actualité ? Les dérobades du chef de l’Etat ne se comptant plus, ceux-là en sont réduits à conjecturer sur la moindre célébration ou la plus improbable de ses apparitions.
Même le personnel notoirement acquis à son service se trouve dans la gêne toutes les fois où il se croit autorisé à anticiper de sa parole ou du moins interpréter les signes d’un frémissement du palais d’El- Mouradia.
A force de différer le rendez- vous avec l’amendement constitutionnel, annoncé il y deux ans et auquel il n’a jamais renoncé, Bouteflika s’inspire des procédures moyen-orientales. Celles qui consistent à priver les opposants de toute possibilité d’une contrecampagne en ne se déclarant qu’à l’ultime moment.
La politique du fait accompli explique, désormais en mieux, le choix d’un silence uniquement ponctué, ici et là , d’assertions sibyllines qu’il dispense, d’ailleurs, à partir d’autres lieux que l’Algérie ou bien avec des interlocuteurs autres que ses concitoyens. Le voyage du Japon et la rencontre avec le président français sont le parfait exemple de ce curieux style. Le fait que c’est grâce au locataire de l’Elysée que l’on apprend que Bouteflika est déjà installé mentalement dans son troisième mandat n’en est que plus regrettable pour la dignité nationale.
Sarkozy, avec sa roublardise légendaire, a justement pris soin de préciser (la télévision algérienne l’ayant diffusé in extenso !) que seul le président algérien a fixé à l’année 2009 sa visite d’Etat en France ! De la part de la France officielle, il n’y a donc ni lapsus malheureux ni ignorance de notre calendrier électoral mais subtilement un dédouanement par anticipation au sujet de futures ingérences, même amicales.
Au-delà de la fâcheuse habitude de ne donner des signaux qu’à travers des canaux étrangers, il est établi, par ailleurs, que les supputations sur son hésitation sont sans objet. Voire qu’elles furent sciemment entretenues pour divertir l’opinion et égarer le moindre débat. L’arrangement se fera bel et bien et dans la quasiconfidentialité d’un Parlement majoritairement peuplé de cireurs de pompes. Ainsi le contre-pied du discours convenu, prononcé le 5 juillet et d’où il ne fallait retenir que l’officialisation d’un redécoupage administratif, s’éclaire à la lumière des annonces codées parvenues du Japon.
Il s’interdit d’affranchir l’opinion de son pays, mais laisse entrevoir ses ambitions à partir de cette lointaine province nippone où l’on peut marchander quelques feux verts auprès des puissants de ce monde afin de réaliser une opération indigène dont l’éthique démocratique n’est pas évidente. Cela dit, l’art de l’escamotage étant le trait distinctif du pouvoir, celui-ci ne se contente pas de subtiliser un dossier crucial, il se bricole également des priorités de circonstance quand il lui fallait y réfléchir dès le lendemain d’avril 1999. En novembre 2000, la mission Missoum Sbih, chargée de faire un état des lieux des constitutions, avait remis ses conclusions.
Celles-ci finirent dans les tiroirs jusqu’à ce que l’opportunité d’une fin de mandature leur suggère qu’il y a matière à faire de la bonne surenchère sur le thème de la sousadministration du pays. Or, même sur un sujet sensible, en termes de bonne gouvernance, l’on n’a retenu que le clinquant du saupoudrage technique dont le caractère démagogique et les dividendes politiques s’engrangent à court terme. Alors que ce pays a besoin bien plus d’une réflexion sur la refondation globale de l’Etat que de redécoupage de «couturier » complaisant et dont les arrière-pensées sont notoirement clientélistes.
Qu’est-ce à dire sinon que la démultiplication des pôles de wilaya ne densifie que le maillage bureaucratique sans projeter l’espace social dans un développement intégré homogène et efficace sur le long terme. Le wilayisme administratif qui fut la bonne clé entre en 1962 et l’an 2000 n’est plus une réponse pour le temps présent. Ailleurs, dans les Etats à tradition centralisatrice, la région en tant qu’entité économique et culturelle, a pris le pas sur le vieux schéma départemental.
Dans une Algérie de 35 millions d’habitants n’est-il pas prioritaire de redessiner la carte humaine et maîtriser la géographie économique afin d’identifier les spécificités et puis libérer les initiatives à travers des autonomies régionales ? A l’inverse, ce qui se fait et se poursuit à travers le renforcement de l’Etat central contribue à l’atrophie de la créativité locale et à tous les déficits culturels engendrés par les standards et les normes imposés.
Hélas, notre jacobinisme au rabais qui, pour combattre un supposé régionalisme accusé injustement de sécessionnisme, lui a substitué un clanisme institutionnel odieux et a fini par plomber le pays. Ainsi, quand le ministre de l’Intérieur veut convaincre, à la suite du chef de l’Etat, que le pays n’est atteint que de maux bénins vite résorbés par la thérapie du wilayisme administratif, que faut-il comprendre d’autre, sinon que la bureaucratie d’Etat a encore un grand avenir.
Le refus d’ouvrir un véritable chantier politique quant à la refondation institutionnelle s’explique, dans l’immédiat, par le tropisme du clientélisme. En effet, dans un pays profond fasciné par le statut valorisant de chef-lieu de wilaya, en distribuer une centaine procède de la corruption tribale. A la veille des allégeances populaires, faire d’une centaine de lieux-dits une identité wilayale, ressemble à s’y méprendre a du troc indigène.
De la même manière des pactes secrets se sont noués avec l’Union européenne (Sarkozy étant son président jusqu’au 31 décembre) en échange d’une participation festive un certain 13 juillet. Vendre une wilaya pour chaque douar ici et acheter outre-Méditerranée une bienveillance future : ce sont là , les nouveaux termes des marchés d’un président qui balise par petites touches sa route vers une troisième conquête.
Ceux qui croient encore que le temps joue contre lui ne seraient que des péquenots de la politique. Chaque jour, chaque semaine et chaque mois qui le rapprochent silencieusement de l’échéance transforment son Rubicon en fleuve tranquille. Et c’est ainsi qu’au lendemain d’un troisième scrutin de dupes, il n’y aura plus de gueule de bois mais seulement des hochements d’épaule. La signature du renoncement collectif.
Boubakeur Hamidechi
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