Bush, Moubarak, démocratie et spécificité
Ecrit dans : Contrechamp
Moubarak n’aurait pas apprécié les quelques vérités que Bush lui a assénées au sujet du sous-développement politique du Moyen-Orient.
Dans une remarquable franchise, le président américain, qui parlait devant un parterre de responsables politiques et économiques, à Charm Al-Cheikh, a rappelé à son auditoire que, pour être efficiente, “la réforme économique doit cependant être accompagnée d’une réforme politique”, mais qu’il observe que, “très souvent, au Moyen-Orient, la politique consiste en un seul dirigeant au pouvoir et l’opposition en prison”.
L’immuable président égyptien a réagi, comme réagissent tous les dictateurs du tiers-monde quand un dirigeant étranger, négligeant pour un moment les questions d’intérêts, leur rappelle la nature de leur régime : ils crient haro sur l’ingérence en proclamant le particularisme de leurs sociétés. Ce que fit Moubarak sur-le-champ en renvoyant au président américain son refus des “tentatives d’imposer la démocratie par l’étranger” et en indiquant que l’Égypte “poursuivait ses réformes démocratiques en prenant en considération la spécificité de sa société”.
Drôle de spécificité qui exige d’une société que les opposants aux autocrates soient emprisonnés ! La spécificité égyptienne a commandé à Moubarak d’envoyer carrément Ayman Nour, candidat arrivé en seconde position à l’élection présidentielle de septembre dernier, pour cinq ans de prison pour le chef d’inculpation de faux et usage de faux dans le dossier de demande d’agrément de son parti !
Ironie de l’histoire : les prisons égyptiennes regorgent de militants arrêtés pour avoir manifesté contre… la guerre en Irak !
C’est vrai que dans un monde arabo-musulman qui constitue, en ce début de troisième millénaire, le bastion résistant de la dictature, le président américain avait, sur le registre de la démocratie, la partie plutôt facile. Même si l’archaïsme politique du monde arabe n’aurait pas dû justifier, depuis des décennies, la “spécificité” de la démocratie israélienne qui repose sur l’emprisonnement de milliers de Palestiniens ! Une spécificité dont s’accommode parfaitement le monde démocratique !
L’arrogance de l’Amérique envers le monde arabo-musulman se nourrit de ce que ses régimes n’ont pas de légitimité populaire et de ce que ces mêmes régimes répressifs recherchent son alliance.
Les partenaires étrangers sont parfois dans les dispositions qui les aident à comprendre cette spécificité arabe, comme l’a montré Sarkozy en “refusant de s’ériger en donneur de leçons” sur les droits de l’Homme en Tunisie ou en préconisant la coprésidence de Moubarak pour l’Union pour la Méditerranée.
Cette fois-ci, Bush a préféré prendre le risque de jouer aux donneurs de leçons et dénoncer la confortable théorie de la spécificité : “Certains dans le monde arabe disent que la démocratie est une valeur occidentale que l’Amérique veut imposer à des citoyens qui n’en veulent pas (…) Or, en vérité, la liberté est un droit universel.”
D’ailleurs, nos dirigeants n’assument pas la “spécificité” de leurs sociétés : souvent, ils assujettissent leurs peuples avec un archaïsme du sultanat et s’arrogent les attributs modernistes d’élus de la République.
Mustapha Hammouche
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