La route aux chansons
Ecrit dans : On remet ça
Je ne me suis jamais vraiment sérieusement intéressé aux chansons tant j’en ai entendues qui ne valaient même pas la peine d’être conçues, écrites, interprétées et encore moins écoutées. D’ailleurs, j’ai toujours considéré la chanson comme un art mineur tout juste bon à entretenir ce sentiment qu’éprouvent les adolescents boutonneux et qui s’appelle l’amour.
Evidemment, c’est un art qui a permis à des chantres bêlants de se faire une grosse galette en attirant les foules. C’est simple, la chanson était pour moi comme le football. Une simple occupation pour le populo. Cela dura jusqu’au jour où on me demanda de faire une dissertation sur l’art poétique dans la chanson. Je demeurai perplexe devant un sujet qui m’était étranger: je ne voyais guère de poésie dans les gueulantes de chanteurs dont le nom se limite souvent à un seul prénom et qui agitent leurs charmes physiques comme arguments de leur talent.
Le hasard me fit heureusement rencontrer un monsieur d’un certain âge. Je lui fis part de ma perplexité et, sans hésiter un instant, me dit: Mon fils, la chanson est un art comme un autre. Elle comporte des thèmes et des formes variées. Il y a de belles et de moins belles chansons. C’est tout. Je te conseille, au lieu de t’égarer dans les analyses de thèmes, de styles de tel ou tel poète, d’expliquer la découverte que j’ai fait moi-même, après avoir écouté quarante années durant, toutes sortes de chansons.
Figure-toi que je me suis aperçu que deux chanteurs que tout sépare, les générations, la langue et l’engagement ont tous deux adopté la même recette pour composer deux chansons différentes: il s’agit de Brassens et de Matoub Lounès. Brassens qui est un anarchiste convaincu et qui ne s’est jamais politiquement engagé (il a d’ailleurs fait une chanson contre et qui a pour titre Mourir pour des idées) a voulu, dans la chanson intitulée La Route aux 4 chansons, montrer que les valeurs ont changé et que l’amour n’était plus ce qu’il était tant il a été dénaturé par la vénalité des anciennes et célèbres amoureuses.
Il a pris quatre chansons populaires du vieux répertoire français et les a adaptées: Il s’agit de La Marjolaine, Le Pont d’Avignon, Dans les prisons de Nantes et enfin la célèbre chanson Auprès de ma blonde que connaissent tous les francophones, de Dunkerque à Tamanrasset.
Maâtoub a fait mieux: il a fait une chanson politique sans émettre un seul slogan. Mieux: il a énuméré les victimes de la pensée unique sans citer le nom d’une seule personne. Et pourtant, tout le monde a reconnu les victimes du parti unique. Certes, il n’a pas pris la route de Dijon comme Brassens mais celle de Michelet où tout le monde lui a parlé de «celui» qui a été banni, puis il a visité les Aït-Iraten et là , il a trouvé que la colère des gens d’Azouza ne s’est pas apaisée puis enfin, il a été à Dra-El-Mizan où les gens n’ont pas oublié «l’affaire de l’Allemagne. Voilà du grand art, mon fils»
Et il reprit sa pipe, les yeux fixés au loin.
Selim M’SILI
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