Grands édifices et misère de la culture
Ecrit dans : Contrechamp
Le Conseil de gouvernement a décidé de créer une agence de gestion des grands projets de culture. Elle aura pour mission d’ériger :
- une bibliothèque arabo-sud-américaine
- un centre arabe d’archéologie
- un grand musée de l’Afrique
- et une grande salle de spectacle.
Une seule. Et qui, apparemment, se contente d’être une salle de spectacle, sans extension identitaire.
Dans les États qui promeuvent la création et la culture, il arrive que les pouvoirs s’offrent un grand projet qui couronne leur action en faveur de l’éducation, du savoir, de l’histoire de l’art. Dans les systèmes autocratiques, les réalisations ont vocation à rappeler l’ampleur de l’œuvre du souverain. Quand la décadence survient et que ces régimes s’évaporent, on peut voir lire leur vaine démesure dans la taille des édifices.
Dans un pays comme le nôtre où les infrastructures éducationnelles, culturelles ou de loisir manquent cruellement, les autorités en sont tout de même à concevoir des institutions prétendant à l’envergure africaine, arabe, mondiale… Un peu comme le matériau national ne pouvait pas suffire à garnir les monumentaux projets rêvés par le gouvernement. Et à la dimension physique s’ajoute la portée géographique, comme si le rayonnement d’une nation ou d’une dynastie résidait dans l’intitulé de ses édifices.
L’Algérie a certainement un déficit de milliers de petites bibliothèques de village et de quartier, de petits centres culturels, de petites salles de cinémas et de petits terrains de jeux. Les principes d’équité et de généralisation commandent, non l’excès dans la taille des équipements, mais le saupoudrage du pays par des investissements structurants.
Et ce qui est petit peut-être dupliqué à l’envi. Il s’agit d’offrir aux Algériens, et aux plus jeunes surtout, le lieu où ils peuvent accéder à l’œuvre culturelle et, peut-être, d’exercer leur imagination, de découvrir leurs talents éventuels et d’y entrevoir leurs éventuelles vocations. On pourrait, ensuite, penser à ériger de luxueuses académies de l’art pour le prestige d’une politique.
Mais à quoi sert d’avoir le souci du monumental et de servir la culture des grands ensembles géographiques et civilisationnels, pendant que les entrées d’immeubles, les piliers d’arcades et le recoin de bosquet servent de premiers centres culturels à notre jeunesse.
Une grande salle, une grande bibliothèque, une grande autoroute…Le “grand” est peut-être utile et significatif, mais c’est le petit qui est structurant, l’atome qui fait l’objet, parce qu’il a faculté de se démultiplier et d’essaimer.
Là-haut, sur les hauteurs de Jijel, à Selma, une école primaire de village a été abandonnée parce qu’on a oublié d’entretenir les trois cents mètres de route qui y mènent. Et quand elle a commencé à se délabrer, les autorités l’ont découverte de ses tuiles pour les…sauver. Est-ce possible qu’une école dépérisse de ne plus avoir d’accès quand on peut tracer en trois ans une autoroute à onze milliards de dollars ? Y a-t-il trop d’argent pour s’occuper des petits budgets ?
Un édifice, si prestigieux soit-il, peut-il effacer le spectacle navrant du contreplaqué qui, au Salon du livre, condamne un petit stand des Editions Inas parce qu’il propose un livre de Benchicou ?
Peut-on, enfin, couler la grandeur d’une politique dans du béton ?
Mustapha Hammouche
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