Bolivie 2007, ou la revanche du Che
Ecrit dans : Chroniques d'un terrien
La commémoration de la mort du Che, figure mythique de la révolution permanente, et au-delà de la symbolique du rendez-vous et des émotions qu’elle suscite chez tous les hommes debout de la planète, nous semble être une excellente occasion pour aborder des sujets d’une actualité brûlante, à la lumière des changements intervenus dans notre monde.
N’est-il pas significatif que, sur cette terre bolivienne où il est tombé sous les balles assassines d’une armée fasciste au service de l’impérialisme, l’espoir qu’il essayait de semer dans un milieu paysan incrédule porte enfin ses fruits et même au-delà de toutes les espérances ? Aux apôtres du capitalisme, aux enfants légitimes et illégitimes de l’impérialisme, aux défaitistes de notre bord et à ceux qui ont été bernés par les sirènes des «privatisations » tous azimuts et des «réformes» en paquets, offrons le visage lumineux de la Bolivie d’aujourd’hui, débarrassée des généraux à la solde de la CIA et des multinationales, comme la preuve flagrante de la réussite du Che. Une balle ne tue pas les idées, surtout lorsqu’elles sortent des tripes d’un homme qui a «oublié» le confort personnel et les attraits de la vie familiale, pour se lancer dans la bataille du destin ; celle qui concerne l’honneur et la dignité des hommes, celle qui s’oppose au plus grand ennemi des peuples : l’impérialisme américain et ses laquais locaux.
Etre révolutionnaire n’est pas une mode passagère, une tendance que l’on change au gré des saisons, un excès de jeunesse ; c’est un volcan qui bout en permanence et qui réveille tout ce que l’homme a de noble en lui. Les systèmes qui «marchent» seraient donc ces apologies de l’individualisme, cette quête d’un bonheur égoïste, cette course effrénée vers une richesse qui en appelle d’autres et qui se bâtit souvent sur le dos des travailleurs ? Nous voyons, partout, les résultats de ce système érigé en référence mondiale : c’est lui qui appauvrit les Etats et installe famine et désolation dans les pays en développement ; c’est lui qui lance les guerres et tue par milliers les citoyens des territoires dont il veut contrôler les richesses nationales ; c’est lui qui incite les autres gouvernements à brader les secteurs publics, abandonner le financement de la santé et de l’éducation, réduire les budgets sociaux et créer de grands clivages à l’intérieur des sociétés, traditionnellement solidaires et qui subissent soudainement le contrecoup de ces secousses répétées ; c’est lui qui installe la terreur pour opposer les fractions d’un même peuple et les inciter à se faire la guerre pour vendre ses armes, bloquer le développement économique et social et retarder l’éveil des consciences populaires ; c’est lui qui soutient les régimes corrompus et impopulaires ; c’est lui qui a fabriqué Al Qaïda de toutes pièces, cet épouvantail dont il se sert aujourd’hui pour nous faire peur et qui a peur demande de l’aide ! Une aide on ne peut plus intéressée et qui prépare l’intervention militaire ! C’est contre ce monstre que se sont levés le Che et ses compagnons, armés de leur seul courage et de cette flamme révolutionnaire qui peut souffler les montagnes !
Dans cette Bolivie où il croyait sincèrement que les idées de progrès et de justice allaient rencontrer l’adhésion totale des paysans, il fut contrarié par le peu d’enthousiasme manifesté, voire une certaine hostilité qui ira jusqu’à la trahison fatale. Mais les idées qu’il a semées tout au long de cette campagne où il devait lutter sur plusieurs fronts, la maladie éprouvante qu’il traînait — un méchant asthme — n’étant pas le moindre ; ces idées ont donné de jeunes plants débordants de vitalité qui sont devenus de beaux et robustes arbres. Balayée la junte fasciste et ses militaires sanguinaires, ainsi que les exploiteurs du peuple ! Une nouvelle Bolivie s’éveille à la vie comme une rose dans ce beau jardin aux fleurs multicolores : Venezuela, Cuba, l’Uruguay, Pérou, Brésil… Le Che n’en espérait pas tant ! Sur ces terres, jadis aux mains des multinationales et des conseillers politiques et militaires dépêchés par Washington, monte aujourd’hui l’écho des anciens opprimés qui soutiennent la nouvelle révolution en marche.
A Cuba, Castro est toujours aux commandes. Au Venezuela, et malgré toutes les tentatives de la droite pour le renverser, Hugo Chavez tient bon. C’est le plus radical de ces nouveaux dirigeants qui défient l’impérialisme dans ses «dix-huit mètres». En Bolivie, où le Che a voulu mener une véritable révolution et où il est tombé en martyr, c’est l’indien Morales qui tient les rênes du pays avec un programme politique révolutionnaire qui montre que rien n’est perdu et que toutes les saignées, toutes les dégradations des économies nationales, toutes les humiliations subies par les masses et tous les reculs des acquis sociaux peuvent être vaincus par la volonté de changement qui anime les dirigeants proches de leurs peuples, de ses souffrances et de ses espoirs. C’est dans cette même Bolivie, livrée jadis à l’appétit du capitalisme international, que l’Etat est désormais propriétaire de toutes les ressources naturelles et qu’il en contrôle la production et la commercialisation.
Qui a donc dit que c’était passé de mode ? Dès la prise de pouvoir par la vraie gauche, tous les contrats avec les multinationales ont été révisés et le gaz bolivien est, aujourd’hui, vendu plus cher. Les nouveaux contrats sont, aux dires d’Evo Morales, «équilibrés. Les multinationales seront rétribuées pour leurs services (exploration, extraction). Elles ont un statut d’associé, non de propriétaire ni de patron». La Bolivie officielle qui donna l’ordre d’assassiner Che Guevara, pensant étouffer ses idées, est aujourd’hui partisane d’un rejet total du néolibéralisme. Elle se dit contre un traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Ce type de traité, selon Morales, «ferme les coopératives et les microentreprises…
Nous avons besoin d’un commerce de peuple à peuple pour résoudre les problèmes économiques sans concentrer le capital dans quelques mains». Il refuse également toute présence militaire américaine. Sur le plan intérieur, le président bolivien a lancé une vaste réforme agraire qui vise à donner des terres aux paysans démunis. N’est-ce pas là un bel exemple de politique de gauche, valable en 2007, qui prouve que les abus du capitalisme peuvent être stoppés et qu’il est possible de croire en une plus juste répartition des richesses et une plus grande justice sociale dans nos pays ? Mais le rêve du Che ne s’est pas réalisé par les armes. Autre époque, autres mÅ“urs. C’est grâce à la démocratie que la gauche a pu accéder au pouvoir dans de nombreux pays d’Amérique latine et, même si elle ne présente pas une certaine homogénéité, le décalage étant important entre les mouvements révolutionnaires et la social-démocratie d’un Lula ou d’une Bachelet, il est important aujourd’hui que cette région parle enfin le même langage.
N’est-il pas malheureux, qu’au même moment, notre région subisse le diktat impérialiste qui a facilité l’occupation militaire de l’Irak ? N’est-il pas honteux pour nos pays qu’aucune voix officielle ne s’élève pour dénoncer — juste ça, au moins ! — les crimes de l’armée américaine contre les civils irakiens ? S’il était vivant, Che Guevara aurait été heureux pour l’Amérique latine, mais malheureux pour le monde arabe où il comptait de nombreux compagnons révolutionnaires. Certains sont morts. Les vivants semblent avoir oublié l’ami Ernesto et tourné le dos aux idées révolutionnaires… Mais les peuples se souviendront longtemps de celui qui disait : «Dans une révolution, on doit triompher ou mourir.» Il y en a, apparemment, qui ont choisi une troisième voix…
Maâmar FARAH
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